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Pacifique, est précisément du nord au sud ; en sorte que l’ancien continent était borné à l’orient par l’une de ces chaînes, et le nouveau continent par l’autre. Leur séparation s’est faite dans le temps où les eaux, arrivant du pôle austral, ont commencé à couler entre ces deux chaînes de montagnes qui semblent se réunir, ou du moins se rapprocher de très près vers les contrées septentrionales ; et ce n’est pas le seul indice qui nous démontre l’ancienne réunion des deux continents vers le nord : d’ailleurs, cette continuité des deux continents entre le Kamtschatka et les terres les plus occidentales de l’Amérique paraît maintenant prouvée par les nouvelles découvertes des navigateurs qui ont trouvé sous ce même parallèle une grande quantité d’îles voisines les unes des autres ; en sorte qu’il ne reste que peu ou point d’espaces de mer entre cette partie orientale de l’Asie et la partie occidentale de l’Amérique sous le cercle polaire.


II. — Sur le double courant des eaux dans quelques endroits de l’océan.

J’ai dit trop généralement et assuré trop positivement « qu’il ne se trouvait pas dans la mer des endroits où les eaux eussent un courant inférieur opposé et dans une direction contraire au mouvement du courant supérieur. » J’ai reçu depuis des informations qui semblent prouver que cet effet existe et peut même se démontrer dans de certaines plages de la mer ; les plus précises sont celles que M. Deslandes, habile navigateur, a eu la bonté de me communiquer par ses lettres des 6 décembre 1770 et 5 novembre 1773, dont voici l’extrait :

« Dans votre Théorie de la Terre, art. xi, Des mers et des lacs, vous dites que quelques personnes ont prétendu qu’il y avait dans le détroit de Gibraltar un double courant, supérieur et inférieur, dont l’effet est contraire ; mais que ceux qui ont eu de pareilles opinions auront sans doute pris des remous, qui se forment au rivage par la rapidité de l’eau, pour un courant véritable, et que c’est une hypothèse mal fondée. C’est d’après la lecture de ce passage que je me détermine à vous envoyer mes observations à ce sujet.

» Deux mois après mon départ de France, je pris connaissance de terre entre les caps Gonzalvès et de Sainte-Catherine ; la force des courants dont la direction est au nord-nord-ouest, suivant exactement le gisement des terres qui sont ainsi situées, m’obligea de mouiller. Les vents généraux dans cette partie sont du sud-sud-est, sud-sud-ouest et sud-ouest ; je fus deux mois et demi dans l’attente inutile de quelque changement, faisant presque tous les jours de vains efforts pour gagner du côté de Loango où j’avais affaire. Pendant ce temps j’ai observé que la mer descendait dans la direction ci-dessus avec sa force, depuis une demie jusqu’à une lieue à l’heure, et qu’à de certaines profondeurs les courants remontaient en dessous avec au moins autant de vitesse qu’ils descendaient en dessus.

» Voici comme je me suis assuré de la hauteur de ces différents courants. Étant mouillé par huit brasses d’eau, la mer extrêmement claire, j’ai attaché un plomb de trente livres au bout d’une ligne ; à environ deux brasses de ce plomb j’ai mis une serviette liée à la ligne par un de ses coins, laissant tomber le plomb dans l’eau. Aussitôt que la serviette y entrait, elle prenait la direction du premier courant ; continuant à l’observer, je la faisais descendre. D’abord que je m’apercevais que le courant n’agissait plus, j’arrêtais ; pour lors elle flottait indifféremment autour de la ligne. Il y avait donc dans cet endroit interruption de cours. Ensuite baissant ma serviette à un pied plus bas, elle prenait une direction contraire à celle qu’elle avait auparavant. Marquant la ligne à la surface de l’eau, il y avait trois brasses de distance à la serviette : d’où j’ai conclu, après différents examens, que, sur les huit brasses d’eau, il y en avait trois qui cou raient sur le nord-nord-ouest ; et cinq en sens contraire sur le sud-sud-est.