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fin, à peu près de la même profondeur ; et au-dessous du sable fin, on trouve le roc. J’ai examiné attentivement le gros gravier ; je l’examine tous les jours, j’y trouve une infinité de pierres figurées de la même forme et de différentes grandeurs. J’y ai vu beaucoup d’holothuries et d’autres pierres de forme régulière, et parfaitement ressemblantes. Tout ceci semblait me dire fort intelligiblement que ce pays-ci avait été anciennement le lit de la mer, qui, par quelque révolution soudaine, s’en est retirée et y a laissé ses productions comme dans beaucoup d’autres endroits. Cependant je suspendais mon jugement à cause des objections de M. de Voltaire. Pour y répondre, j’ai voulu joindre l’expérience à l’observation. »

Le P. Chabenat rapporte ensuite plusieurs expériences pour prouver que les coquilles qui se trouvent dans le sein de la terre sont de la même nature que celles de la mer. Je ne les rapporte pas ici, parce qu’elles n’apprennent rien de nouveau, et que personne ne doute de cette identité de nature entre les coquilles fossiles et les coquilles marines. Enfin le P. Chabenat conclut et termine son mémoire en disant : « On ne peut donc pas douter que toutes ces coquilles, qui se trouvent dans le sein de la terre, ne soient de vraies coquilles et des dépouilles des animaux de la mer qui couvrait autrefois toutes ces contrées, et que par conséquent les objections de M. de Voltaire ne soient mal fondées[1]. »


II. — Sur les lieux où l’on a trouvé des coquilles.

Il me serait facile d’ajouter à l’énumération des amas de coquilles qui se trouvent dans toutes les parties du monde un très grand nombre d’observations particulières qui m’ont été communiquées depuis trente-quatre ans. J’ai reçu des lettres des îles de l’Amérique, par lesquelles on m’assure que presque dans toutes on trouve des coquilles dans leur état de nature ou pétrifiées dans l’intérieur de la terre, et souvent sous la première couche de la terre végétale. M. de Bougainville a trouvé aux îles Malouines des pierres qui se divisent par feuillets, sur lesquelles on remarquait des empreintes de coquilles fossiles d’une espèce inconnue dans ces mers[2]. J’ai reçu des lettres de plusieurs endroits des grandes Indes et de l’Afrique, où l’on me marque les mêmes choses. Don Ulloa nous apprend (tome III, p. 314 de son Voyage) qu’au Chili, dans le terrain qui s’étend depuis Talca Guano jusqu’à la Conception, l’on trouve des coquilles de différentes espèces en très grande quantité et sans aucun mélange de terre, et que c’est avec ces coquilles que l’on fait de la chaux. Il ajoute que cette particularité ne serait pas si remarquable, si l’on ne trouvait ces coquilles que dans les lieux bas et dans d’autres parages sur lesquels la mer aurait pu les couvrir ; mais ce qu’il y a de singulier, dit-il, c’est que les mêmes tas de coquilles se trouvent dans les collines à 50 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer. Je ne rapporte pas ce fait comme singulier, mais seulement comme s’accordant avec tous les autres, et comme étant le seul qui me soit connu sur les coquilles fossiles de cette partie du monde, où je suis très persuadé qu’on trouverait, comme partout ailleurs, des pétrifications marines, à des hauteurs bien plus grandes que 50 toises au-dessus du niveau de la mer ; car le même Don Ulloa a trouvé depuis des coquilles pétrifiées dans les montagnes du Pérou, à plus de 2 000 toises de hauteur ; et, selon M. Kalm, on voit des coquillages, dans l’Amérique septentrionale, sur les sommets de plusieurs montagnes ; il dit en avoir vu lui-même sur le sommet de la montagne Bleue. On en trouve aussi dans les craies des environs de Montréal, dans quelques pierres qui se tirent près du lac Champlain en Canada[3], et encore dans les parties les plus septentrionales de ce nouveau con-

  1. Mémoire manuscrit sur les pierres figurées, par le P. Chabenat. Montauban, ce 8 octobre 1773.
  2. Voyage autour du monde, t. Ier, p. 100.
  3. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1752, p. 194.