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que sur celle des autres parties du monde, on ne doit pas en conclure qu’une mer intérieure soit contenue dans les entrailles de cette nouvelle terre. On doit se borner à inférer de cette grande quantité de lacs, de marais, de larges fleuves, que l’Amérique n’a été peuplée qu’après l’Asie, l’Afrique et l’Europe, où les eaux stagnantes sont en bien moins grande quantité : d’ailleurs, il y a mille autres indices qui démontrent qu’en général on doit regarder le continent de l’Amérique comme une terre nouvelle dans laquelle la nature n’a pas eu le temps d’acquérir toutes ses forces, ni celui de les manifester par une très nombreuse population.


III. — Sur les terres australes.

J’ajouterai à ce que j’ai dit des terres australes, que depuis quelques années on a fait de nouvelles tentatives pour y aborder et qu’on en a même découvert quelques points après être parti, soit du cap de Bonne-Espérance, soit de l’Île de France, mais que ces nouveaux voyageurs ont également trouvé des brumes, de la neige et des glaces dès le 46e ou le 47e degré. Après avoir conféré avec quelques-uns d’entre eux et ayant pris d’ailleurs toutes les informations que j’ai pu recueillir, j’ai vu qu’ils s’accordent sur ce fait, et que tous ont également trouvé des glaces à des latitudes beaucoup moins élevées qu’on n’en trouve dans l’hémisphère boréal ; ils ont aussi tous également trouvé des brumes à ces mêmes latitudes où ils ont rencontré des glaces, et cela dans la saison même de l’été de ces climats : il est donc très probable qu’au delà du 50e degré on chercherait en vain des terres tempérées dans cet hémisphère austral, où le refroidissement glacial s’est étendu beaucoup plus loin que dans l’hémisphère boréal. La brume est un effet produit par la présence ou par le voisinage des glaces ; c’est un brouillard épais, une espèce de neige très fine, suspendue dans l’air et qui le rend obscur : elle accompagne souvent les grandes glaces flottantes, et elle est perpétuelle sur les plages glacées.

Au reste, les Anglais ont fait tout nouvellement le tour de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Zélande. Ces terres australes sont d’une étendue plus grande que l’Europe entière : celles de la Zélande sont divisées en plusieurs îles, mais celles de la Nouvelle-Hollande doivent plutôt être regardées comme une partie du continent de l’Asie, que comme une île du continent austral ; car la Nouvelle-Hollande n’est séparée que par un petit détroit de la terre des Papous ou Nouvelle-Guinée, et tout l’archipel, qui s’étend depuis les Philippines vers le sud jusqu’à la terre d’Arnheim dans la Nouvelle-Hollande, et jusqu’à Sumatra et Java, vers l’occident et le midi, paraît autant appartenir à ce continent de la Nouvelle-Hollande, qu’au continent de l’Asie méridionale.

M. le capitaine Cook, qu’on doit regarder comme le plus grand navigateur de ce siècle, et auquel l’on est redevable d’un nombre infini de nouvelles découvertes, a non seulement donné la carte des côtes de la Zélande et de la Nouvelle-Hollande, mais il a encore reconnu une grande étendue de mer dans la partie australe voisine de l’Amérique : il est parti de la pointe même de l’Amérique le 30 janvier 1769, et il a parcouru un grand espace sous le 60e degré, sans avoir trouvé des terres. On peut voir, dans la carte qu’il en a donnée, l’étendue de mer qu’il a reconnue, et sa route démontre que, s’il existe des terres dans cette partie du globe, elles sont fort éloignées du continent de l’Amérique, puisque la Nouvelle-Zélande, située entre le 35e et le 45e degré de latitude, en est elle-même très éloignée ; mais il faut espérer que quelques autres navigateurs, marchant sur les traces du capitaine Cook, chercheront à parcourir ces mers australes sous le 50e degré, et qu’on ne tardera pas à savoir si ces parages immenses, qui ont plus de deux mille lieues d’étendue, sont des terres ou des mers ; néanmoins je ne présume pas qu’au delà du 50e degré, les régions australes soient assez tempérées pour que leur découverte pût nous être utile.