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Mais si cela est, pourquoi voyons-nous que dans de très grands cantons, dans des provinces entières, ce suc cristallin ne forme que de la pierre, et que dans d’autres provinces il ne forme que du caillou ? Dira-t-on que ces deux terrains ne sont pas aussi anciens l’un que l’autre, que ce suc n’a pas eu le temps de circuler et d’agir aussi longtemps dans l’un que dans l’autre ? cela n’est pas probable. D’ailleurs, d’où ce suc peut-il venir ? S’il produit les pierres et les cailloux, qu’est-ce qui peut le produire lui-même ? Il est aisé de voir qu’il n’existe pas indépendamment de ces matières, qui seules peuvent donner à l’eau qui les pénètre cette qualité pétrifiante, toujours relativement à leur nature et à leur caractère spécifique : en sorte que dans les pierres elle forme du sparr, et dans les cailloux du cristal ; et il y a autant de différentes espèces de ce suc qu’il y a de matières différentes qui peuvent le produire et desquelles il peut sortir. L’expérience est parfaitement d’accord avec ce que nous disons ; on trouvera toujours que les eaux gouttières des carrières de pierres ordinaires forment des concrétions tendres et calcinables comme ces pierres le sont ; qu’au contraire celles qui sortent du roc vif et du caillou forment des congélations dures et vitrifiables, et qui ont toutes les autres propriétés du caillou, comme les premières ont toutes celles de la pierre ; et les eaux qui ont pénétré des lits de matières minérales et métalliques donnent lieu à la production des pyrites, des marcassites et des grains métalliques.

Nous avons dit qu’on pouvait diviser toutes les matières en deux grandes classes et par deux caractères généraux : les unes sont vitrifiables, les autres sont calcinables ; l’argile et le caillou, la marne et la pierre, peuvent être regardés comme les deux extrêmes de chacune de ces classes, dont les intervalles sont remplis par la variété presque infinie des mixtes, qui ont toujours pour base l’une ou l’autre de ces matières.

Les matières de la première classe ne peuvent jamais acquérir la nature et les propriétés de celles de l’autre : la pierre, quelque ancienne qu’on la suppose, sera toujours aussi éloignée de la nature du caillou, que l’argile l’est de la marne : aucun agent connu ne sera jamais capable de les faire sortir du cercle de combinaisons propres à leur nature ; les pays où il n’y a que des marbres et de la pierre, n’auront jamais que des marbres et de la pierre, aussi certainement que ceux où il n’y a que du grès, du caillou, du roc vif, n’auront jamais de la pierre ou du marbre.

Si l’on veut observer l’ordre et la distribution des matières dans une colline composée de matières vitrifiables, comme nous l’avons fait tout à l’heure dans une colline composée de matières calcinables, on trouvera ordinairement sous la première couche de terre végétale un lit de glaise ou d’argile, matière vitrifiable et analogue au caillou, et qui n’est, comme je l’ai dit, que du sable vitrifiable décomposé ; ou bien on trouve sous la terre végétale une couche de sable vitrifiable : ce lit d’argile ou de sable répond au lit de gravier qu’on trouve dans les collines composées de matières calcinables ; après cette couche d’argile ou de sable on trouve quelques lits de grès qui, le plus souvent, n’ont pas plus d’un demi-pied d’épaisseur, et qui sont divisés en petits morceaux par une infinité de fentes perpendiculaires, comme le moellon du 3e lit de la colline composée de matières calcinables. Sous ce lit de grès on en trouve plusieurs autres de la même matière, et aussi des couches de sable vitrifiable, et le grès devient plus dur et se trouve en plus gros blocs à mesure que l’on descend. Au-dessous de ces lits de grès on trouve une matière très dure que j’ai appelée du roc vif, ou du caillou en grande masse : c’est une matière très dure, très dense, qui résiste à la lime, au burin, à tous les esprits acides, beaucoup plus que n’y résiste le sable vitrifiable et même le verre en poudre, sur lesquels l’eau-forte paraît avoir quelque prise. Cette matière frappée avec un autre corps dur, jette des étincelles, et elle exhale une odeur de soufre très pénétrante : j’ai cru devoir appeler cette matière du caillou en grande masse ; il est ordinairement stratifié sur d’autres lits d’argile, d’ardoise, de charbon de terre et de sable vitrifiable d’une très grande épaisseur, et ces lits de cail-