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arbres de cette campagne, qui durèrent un quart d’heure et inondèrent jusqu’aux campagnes voisines : cette eau est blanchâtre, semblable à l’eau de savon, et n’a aucun goût.

» Une montagne qui est près de Sigillo, bourg éloigné d’Aquila de vingt-deux milles, avait sur son sommet une plaine assez grande environnée de rochers qui lui servaient comme de murailles. Depuis le tremblement du 2 février, il s’est fait à la place de cette plaine un gouffre de largeur inégale, dont le plus grand diamètre est de 25 toises, et le moindre de 20 : on n’a pu en trouver le fond, quoiqu’on ait été jusqu’à 300 toises. Dans le temps que se fit cette ouverture, on en vit sortir des flammes, et ensuite une très grosse fumée qui dura trois jours avec quelques interruptions.

» À Gênes, le 1er et le 2 juillet 1703, il y eut deux petits tremblements ; le dernier ne fut senti que par des gens qui travaillaient sur le môle ; en même temps, la mer dans le port s’abaissa de six pieds, en sorte que les galères touchèrent le fond, et cette basse mer dura près d’un quart d’heure.

» L’eau soufrée, qui est dans le chemin de Rome à Tivoli, s’est diminuée de deux pieds et demi de hauteur, tant dans le bassin que dans le fossé. En plusieurs endroits de la plaine appelée le Testine, il y avait des sources et des ruisseaux d’eau qui formaient des marais impraticables ; tout s’est séché. L’eau du lac appelé l’Enfer a diminué aussi de trois pieds en hauteur ; à la place des anciennes sources qui ont tari, il en est sorti de nouvelles environ à une lieue des premières, en sorte qu’il y a apparence que ce sont les mêmes eaux qui ont changé de route. » (Page 10, année 1704.)

Le même tremblement de terre, qui en 1538 forma le Monte di Cenere auprès de Pouzzoles, remplit en même temps le lac Lucrin de pierres, de terres et de cendres ; de sorte qu’actuellement ce lac est un terrain marécageux. (Voyez Ray’s Discourses, p. 12.)

Il y a des tremblements de terre qui se font sentir au loin dans la mer. M. Shaw rapporte qu’en 1724, étant à bord de la Gazelle, vaisseau algérien de 50 canons, on sentit trois violentes secousses l’une après l’autre, comme si à chaque fois on avait jeté d’un endroit fort élevé un poids de 20 ou 30 tonneaux sur le lest ; cela arriva dans un endroit de la Méditerranée où il y avait plus de 200 brasses d’eau ; il rapporte aussi que d’autres avaient senti des tremblements de terre bien plus considérables en d’autres endroits et un entre autres à 40 lieues ouest de Lisbonne. (Voyez les Voyages de Shaw, v. Ier, p. 303.)

Schouten, en parlant d’un tremblement de terre qui se fit aux îles Moluques, dit que les montagnes furent ébranlées, et que les vaisseaux qui étaient à l’ancre sur 30 et 40 brasses se tourmentèrent comme s’ils se fussent donné des culées sur le rivage, sur des rochers ou sur des bancs. « L’expérience, continue-t-il, nous apprend tous les jours que la même chose arrive en pleine mer où l’on ne trouve point de fond, et que, quand la terre tremble, les vaisseaux viennent tout d’un coup à se tourmenter jusque dans les endroits où la mer était tranquille. » (Voyez t. VI, p. 103.) Le Gentil, dans son Voyage autour du Monde, parle des tremblements de terre dont il a été témoin, dans les termes suivants : « J’ai, dit-il, fait quelques remarques sur ces tremblements de terre ; la première est qu’une demi-heure avant que la terre s’agite, tous les animaux paraissent saisis de frayeur : les chevaux hennissent, rompent leurs licols et fuient de l’écurie ; les chiens aboient, les oiseaux épouvantés et presque étourdis entrent dans les maisons, les rats et les souris sortent de leurs trous, etc. ; la seconde est que les vaisseaux qui sont à l’ancre sont agités si violemment qu’il semble que toutes les parties dont ils sont composés vont se désunir, les canons sautent sur leurs affûts, et les mâts par cette agitation rompent leurs haubans : c’est ce que j’aurais eu de la peine à croire si plusieurs témoignages unanimes ne m’en avaient convaincu. Je conçois bien que le fond de la mer est une continuation de la terre, que si cette terre est agitée elle communique son agitation aux eaux qu’elle porte ; mais ce que je ne conçois pas, c’est ce mouvement irrégu-