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les feuilles, toutes les parties apparentes ne servent plus à rien, il n’y a que les étamines, et si l’on ne peut pas voir les étamines, on ne sait rien, on n’a rien vu. Ce grand arbre que vous apercevez, n’est peut-être qu’une pimprenelle, il faut compter ses étamines pour savoir ce que c’est, et comme ces étamines sont souvent si petites qu’elles échappent à l’œil simple ou à la loupe, il faut un microscope ; mais malheureusement encore pour le système, il y a des plantes qui n’ont point d’étamines, il y a des plantes dont le nombre des étamines varie, et voilà la méthode en défaut comme les autres, malgré la loupe et le microscope[1].

Après cette exposition sincère des fondements sur lesquels on a bâti les différents systèmes de botanique, il est aisé de voir que le grand défaut de tout ceci est une erreur de métaphysique dans le principe même de ces méthodes. Cette erreur consiste à méconnaître la marche de la nature, qui se fait toujours par nuances, et à vouloir juger d’un tout par une seule de ses parties : erreur bien évidente, et qu’il est étonnant de retrouver partout[NdÉ 1] ; car presque tous les nomenclateurs n’ont employé qu’une partie, comme les dents, les ongles ou ergots, pour ranger les animaux, les feuilles ou les fleurs pour distribuer les plantes, au lieu de se servir de toutes les parties, et de chercher les différences ou les ressemblances dans l’individu tout entier : c’est renoncer volontairement au plus grand nombre des avantages que la nature nous offre pour la connaître, que de refuser de se servir de toutes les parties des objets que nous considérons[NdÉ 2] ; et quand même on serait assuré de trouver dans quelques parties prises séparément des caractères constants et invariables, il ne faudrait pas pour cela réduire la connaissance des productions naturelles à celle de ces parties constantes qui ne donnent que des idées particulières et très imparfaites du tout, et il me paraît que le seul moyen de faire une méthode instructive et naturelle, c’est de mettre ensemble les choses qui se ressemblent, et de séparer celles qui diffèrent les unes des autres. Si les individus ont une ressemblance parfaite, ou des différences si petites qu’on ne puisse les apercevoir qu’avec peine, ces individus seront de la même espèce ; si les différences commencent à être sensibles, et qu’en même temps il y ait toujours beaucoup plus de ressemblance que de différence, les individus seront d’une autre espèce, mais du même genre que les premiers ; et si ces différences sont encore plus marquées, sans

  1. Ces considérations sont d’une justesse absolue.
  2. Adanson a essayé d’appliquer à la botanique la manière de procéder dont parle Buffon.
  1. Hoc verò systema, Linnæi scilicet, jam cognitis plantarum methodis longè vilius et inferius non solùm, sed et insuper nimis coactum, lubricum et fallax, imò lusorium deprehenderim ; et quidem in tantùm, ut non solùm quoad dispositionem ac denominationem plantarum enormes confusiones post se trahat, sed et vix non plenaria doctrinæ botanicæ solidioris obscuratio et perturbatio indè fuerit metuenda. (Vaniloq. Botan. specimen refutatum à Siegesbeck, Petropoli, 1741.)