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à l’agitation. Dans ces temps d’orages l’eau de la mer, qui est ordinairement la plus claire de toutes les eaux, est trouble et mêlée de différentes matières que le mouvement des eaux détache des côtes et du fond ; et la mer rejette alors sur les rivages une infinité de choses qu’elle apporte de loin, et qu’on ne trouve jamais qu’après les grandes tempêtes, comme de l’ambre gris sur les côtes occidentales de l’Irlande, de l’ambre jaune sur celles de Poméranie, des cocos sur les côtes des Indes, etc., et quelquefois des pierres ponces et d’autres pierres singulières. Nous pouvons citer à cette occasion un fait rapporté dans les Nouveaux Voyages aux îles de l’Amérique : « Étant à Saint-Domingue, dit l’auteur, on me donna entre autres choses quelques pierres légères que la mer amène à la côte quand il a fait de grands vents de sud ; il y en avait une de 2 pieds et demi de long sur 18 pouces de large et environ 1 pied d’épaisseur, qui ne pesait pas tout à fait 5 livres ; elle était blanche comme la neige, bien plus dure que les pierres ponces, d’un grain fin, ne paraissant point du tout poreuse, et cependant, quand on la jetait dans l’eau, elle bondissait comme un ballon qu’on jette contre terre ; à peine enfonçait-elle un demi-travers de doigt ; j’y fis faire quatre trous de tarière pour y planter quatre bâtons et soutenir deux petites planches légères qui renfermaient les pierres dont je la chargeais ; j’ai eu le plaisir de lui en faire porter une fois 160 livres, et une autre fois trois poids de fer de 50 livres pièce ; elle servait de chaloupe à mon nègre qui se mettait dessus et allait se promener autour de la caye. » (Tome V, p. 260.) Cette pierre devait être une pierre ponce d’un grain très fin et serré, qui venait de quelque volcan, et que la mer avait transportée, comme elle transporte l’ambre gris, les cocos, la pierre ponce ordinaire, les graines des plantes, les roseaux, etc. ; on peut voir sur cela les Discours de Ray : c’est principalement sur les côtes d’Irlande et d’Ecosse qu’on a fait des observations de cette espèce. La mer par son mouvement général d’orient en occident doit porter sur les côtes de l’Amérique les productions de nos côtes ; et ce n’est peut-être que par des mouvements irréguliers, et que nous ne connaissons pas, qu’elle apporte sur nos rivages les productions des Indes orientales et occidentales ; elle apporte aussi des productions du nord : il y a grande apparence que les vents entrent pour beaucoup dans les causes de ces effets. On a vu souvent, dans les hautes mers et dans un très grand éloignement des côtes, des plages entières couvertes de pierres ponces ; on ne peut guère soupçonner qu’elles puissent venir d’ailleurs que des volcans des îles ou de la terre ferme, et ce sont apparemment les courants qui les transportent au milieu des mers. Avant qu’on connût la partie méridionale de l’Afrique, et dans le temps où on croyait que la mer des Indes n’avait aucune communication avec notre Océan, on commença à la soupçonner par un indice de cette nature.

Le mouvement alternatif du flux et du reflux, et le mouvement constant de la mer d’orient en occident, offrent différents phénomènes dans les différents climats ; ces mouvements se modifient différemment suivant le gisement des terres et la hauteur des côtes : il y a des endroits où le mouvement général d’orient en occident n’est pas sensible ; il y en a d’autres où la mer a même un mouvement contraire, comme sur la côte de Guinée, mais ces mouvements contraires au mouvement général sont occasionnés par les vents, par la position des terres, par les eaux des grands fleuves et par la disposition du fond de la mer ; toutes ces causes produisent des courants qui altèrent et changent souvent tout à fait la direction du mouvement général dans plusieurs endroits de la mer ; mais comme ce mouvement des mers d’orient en occident est le plus grand, le plus général et le plus constant ; il doit aussi produire les plus grands effets, et, tout pris ensemble, la mer doit avec le temps gagner du terrain vers l’occident et en laisser vers l’orient, quoiqu’il puisse arriver que sur les côtes où le vent d’ouest souffle pendant la plus grande partie de l’année, comme en France, en Angleterre, la mer gagne du terrain vers l’orient. Mais encore une fois, ces exceptions particulières ne détruisent pas l’effet de la cause générale.