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En remontant de la Terre-de-Feu tout le long des côtes occidentales de l’Amérique méridionale, l’océan rentre assez considérablement dans les terres, et cette côte semble suivre exactement la direction des hautes montagnes qui traversent du midi au nord toute l’Amérique méridionale depuis l’équateur jusqu’à la Terre-de-Feu. Près de l’équateur, l’océan fait un golfe assez considérable, qui commence au cap Saint-François et s’étend jusqu’à Panama où est le fameux isthme qui, comme celui de Suez, empêche la communication des deux mers, et sans lesquels il y aurait une séparation entière de l’ancien et du nouveau continent en deux parties ; de là, il n’y a rien de remarquable jusqu’à la Californie, qui est une presqu’île fort longue entre les terres de laquelle et celles du Nouveau-Mexique l’océan fait un bras qu’on appelle la mer Vermeille, qui a plus de 200 lieues d’étendue en longueur. Enfin on a suivi les côtes occidentales de la Californie jusqu’au 43e degré ; et, à cette latitude, Drake, qui le premier a fait la découverte de la terre qui est au nord de la Californie, et qui l’a appelée Nouvelle-Albion, fut obligé, à cause de la rigueur du froid, de changer sa route et de s’arrêter dans une petite baie qui porte son nom, de sorte qu’au delà du 43e ou du 44e degré les mers de ces climats n’ont pas été reconnues, non plus que les terres de l’Amérique septentrionale, dont les derniers peuples qui sont connus sont les Moozemlekis, sous le 48e degré, et les Assiniboïls, sous le 51e, et les premiers sont beaucoup plus reculés vers l’ouest que les seconds. Tout ce qui est au delà, soit terre, soit mer, dans une étendue de plus de 1 000 lieues en longueur et d’autant en largeur, est inconnu, à moins que les Moscovites, dans leurs dernières navigations, n’aient, comme ils l’ont annoncé, reconnu une partie de ces climats en partant de Kamtchatka, qui est la terre la plus voisine du côté de l’orient.

L’océan environne donc toute la terre sans interruption de continuité, et on peut faire le tour du globe en passant à la pointe de l’Amérique méridionale ; mais on ne sait pas encore si l’océan environne de même la partie septentrionale du globe, et tous les navigateurs qui ont tenté d’aller d’Europe à la Chine par le nord-est ou par le nord-ouest, ont également échoué dans leurs entreprises.

Les lacs diffèrent des mers méditerranées en ce qu’ils ne tirent aucune eau de l’océan, et qu’au contraire, s’ils ont communication avec les mers, ils leur fournissent des eaux : ainsi la mer Noire, que quelques géographes ont regardée comme une suite de la mer Méditerranée, et par conséquent comme un appendice de l’océan, n’est qu’un lac, parce qu’au lieu de tirer des eaux de la Méditerranée elle lui en fournit, et coule avec rapidité par le Bosphore dans le lac appelé mer de Marmara, et de là par le détroit des Dardanelles dans la mer de Grèce. La mer Noire a environ 250 lieues de longueur sur 100 de largeur, et elle reçoit un grand nombre de fleuves dont les plus considérables sont le Danube, le Niéper, le Don, le Boh, le Donjec, etc. Le Don, qui se réunit avec le Donjec, forme, avant que d’arriver à la mer Noire, un lac ou un marais fort considérable qu’on appelle le Palus-Méotide, dont l’étendue est de plus de 100 lieues en longueur, sur 20 ou 25 de largeur. La mer de Marmara, qui est au-dessous de la mer Noire, est un lac plus petit que le Palus-Méotide, et il n’a qu’environ 50 lieues de longueur sur 8 ou 9 de largeur.

Quelques anciens, et entre autres Diodore de Sicile, ont écrit que le Pont-Euxin ou la mer Noire n’était autrefois que comme une grande rivière ou un grand lac qui n’avait aucune communication avec la mer de Grèce, mais que ce grand lac s’étant augmenté considérablement avec le temps par les eaux des fleuves qui y arrivent, il s’était enfin ouvert un passage, d’abord du côté des îles Cyanées, et ensuite du côté de l’Hellespont. Cette opinion me parait assez vraisemblable, et même il est facile d’expliquer le fait ; car, en supposant que le fond de la mer Noire fût autrefois plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui, on voit bien que les fleuves qui y arrivent auront élevé le fond de cette mer par le limon et les sables qu’ils entraînent, et que, par conséquent, il a pu arriver que la surface de