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le nom en grec signifie rouge ; d’autres se sont imaginé que la réflexion du soleil produit une couleur rougeâtre sur la surface de l’eau, et d’autres que l’eau du golfe a naturellement cette couleur. Les Portugais, qui avaient déjà fait plusieurs voyages à l’entrée des détroits, assuraient que toute la côte d’Arabie étant fort rouge, le sable et la poussière qui s’en détachaient, et que le vent poussait dans la mer, teignaient les eaux de la même couleur.

» Dom Jean qui, pour vérifier ces opinions, ne cessa point jour et nuit, depuis son départ de Socotora, d’observer la nature de l’eau et les qualités des côtes jusqu’à Suez, assure que, loin d’être naturellement rouge, l’eau est de la couleur des autres mers, et que le sable ou la poussière, n’ayant rien de rouge non plus, ne donnent point cette teinte à l’eau du golfe. La terre sur les deux côtes est généralement brune, et noire même en quelques endroits ; dans d’autres lieux, elle est blanche : ce n’est qu’au delà de Suaquen, c’est-à-dire sur des côtes où les Portugais n’avaient point encore pénétré, qu’il vit en effet trois montagnes rayées de rouge, encore étaient-elles d’un roc fort dur, et le pays voisin était de la couleur ordinaire.

» La vérité donc est que cette mer, depuis l’entrée jusqu’au fond du golfe, est partout de la même couleur, ce qu’il est facile de se démontrer à soi-même en puisant de l’eau à chaque lieu ; mais il faut avouer aussi que, dans quelques endroits, elle paraît rouge par accident, et dans d’autres verte et blanche ; voici l’explication de ce phénomène. Depuis Suaquen jusqu’à Kossir, c’est-à-dire pendant l’espace de 136 lieues, la mer est remplie de bancs et de rochers de corail ; on leur donne ce nom, parce que leur forme et leur couleur les rendent si sembables au corail qu’il faut une certaine habileté pour ne pas s’y tromper ; ils croissent comme des arbres, et leurs branches prennent la forme de celles du corail ; on en distingue deux sortes, l’une blanche et l’autre fort rouge ; ils sont couverts en plusieurs endroits d’une espèce de gomme ou de glu verte, et dans d’autres lieux, orange foncé. Or l’eau de cette mer étant plus claire et plus transparente qu’aucune autre eau du monde, de sorte qu’à 20 brasses de profondeur l’œil pénètre jusqu’au fond, surtout depuis Suaquen jusqu’à l’extrémité du golfe, il arrive qu’elle paraît prendre la couleur des choses qu’elle couvre : par exemple, lorsque les rocs sont comme enduits de glu verte, l’eau qui passe par-dessus paraît d’un vert plus foncé que les rocs mêmes, et lorsque le fond est uniquement de sable, l’eau paraît blanche ; de même, lorsque les rocs sont de corail, dans le sens que j’ai donné à ce terme, et que la glu qui les environne est rouge ou rougeâtre, l’eau se teint ou plutôt semble se teindre en rouge ; ainsi comme les rocs de cette couleur sont plus fréquents que les blancs et les verts, Dom Jean conclut qu’on a dû donner au golfe Arabique le nom de mer Rouge plutôt que celui de mer verte ou blanche ; il s’applaudit de cette découverte avec d’autant plus de raison, que la méthode par laquelle il s’en était assuré ne pouvait lui laisser aucun doute. Il faisait amarrer une flûte contre les rocs dans les lieux qui n’avaient point assez de profondeur pour permettre aux vaisseaux d’approcher, et souvent les matelots pouvaient exécuter ses ordres à leur aise, sans avoir la mer plus haut que l’estomac à plus d’une demi-lieue des rocs ; la plus grande partie des pierres ou des cailloux qu’ils en tiraient, dans les lieux où l’eau paraissait rouge, avaient aussi cette couleur ; dans l’eau qui paraissait verte, les pierres étaient vertes, et si l’eau paraissait blanche, le fond était d’un sable blanc, où l’on n’apercevait point d’autre mélange. »

Depuis l’entrée de la mer Rouge au cap Gardafui jusqu’à la pointe de l’Afrique au cap de Bonne-Espérance, l’océan a une direction assez égale ; il ne forme aucun golfe considérable dans l’intérieur des terres ; il y a seulement une espèce d’enfoncement à la côte de Mélinde, qu’on pourrait regarder comme faisant partie d’un grand golfe, si l’île de Madagascar était réunie à la terre ferme : il est vrai que cette île, quoique séparée par le large détroit de Mozambique, paraît avoir appartenu autrefois au continent, car il y a des sables