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fondeurs de terre ferme, telles que les profondes vallées que l’on voit entre les montagnes, les précipices qu’on trouve entre les rochers, les abîmes qu’on aperçoit du haut des montagnes, comme l’abîme du mont Ararat, les précipices des Alpes, les vallées des Pyrénées : ces profondeurs sont une suite naturelle de l’élévation des montagnes ; elles reçoivent les eaux et les terres qui coulent de la montagne, le terrain en est ordinairement très fertile et fort habité. Pour les précipices qui sont entre les rochers, ils se forment par l’affaissement des rochers, dont la base cède quelquefois plus d’un côté que, de l’autre, par l’action de l’air et de la gelée qui les fait fendre et les sépare, et par la chute impétueuse des torrents qui s’ouvrent des routes et entraînent tout ce qui s’oppose à leur violence ; mais ces abîmes, c’est-à-dire ces énormes et vastes précipices qu’on trouve au sommet des montagnes, et au fond desquels il n’est quelquefois pas possible de descendre, quoiqu’ils aient une demi-lieue de tour, ont été formés par le feu ; ces abîmes étaient autrefois les foyers des volcans, et toute la matière qui y manque en a été rejetée par l’action et l’explosion de ces feux, qui depuis se sont éteints faute de matière combustible. L’abîme du mont Ararat, dont M. de Tournefort donne la description dans son Voyage du Levant, est environné de rochers noirs et brûlés, comme seront quelque jour les abîmes de l’Etna, du Vésuve et de tous les autres volcans, lorsqu’ils auront consumé toutes les matières combustibles qu’ils renferment.

Dans l’histoire naturelle de la province de Stafford, en Angleterre, par Plot, il est parlé d’une espèce de gouffre qu’on a sondé jusqu’à la profondeur de deux mille six cents pieds perpendiculaires, sans qu’on y ait trouvé d’eau ; on n’a pu même en trouver le fond, parce que la corde n’était pas assez longue. (Voyez le Journal des Savants, année 1680, page 12.)

Les grandes cavités et les mines profondes sont ordinairement dans les montagnes, et elles ne descendent jamais, à beaucoup près, au niveau des plaines ; ainsi, nous ne connaissons par ces cavités que l’intérieur de la montagne et point du tout celui du globe.

D’ailleurs, ces profondeurs ne sont pas en effet fort considérables ; Ray assure que les mines les plus profondes n’ont pas un demi-mille de profondeur. La mine de Cotteberg, qui du temps d’Agricola passait pour la plus profonde de toutes les mines connues, n’avait que 2 500 pieds de profondeur perpendiculaire. Il est vrai qu’il y a des trous dans certains endroits, comme celui dont nous venons de parler dans la province de Stafford, ou le Poolshole, dans la province de Darby, en Angleterre, dont la profondeur est peut-être plus grande ; mais tout cela n’est rien en comparaison de l’épaisseur du globe.

Si les rois d’Égypte, au lieu d’avoir fait des pyramides et élevé d’aussi fastueux monuments de leurs richesses et de leur vanité, eussent fait la même dépense pour sonder la terre et y faire une profonde excavation, comme d’une lieue de profondeur, on aurait peut-être trouvé des matières qui auraient dédommagé de la peine et de la dépense, ou tout au moins on aurait des connaissances qu’on n’a pas sur les matières dont le globe est composé à l’intérieur, ce qui serait peut-être fort utile.

Mais revenons aux montagnes : les plus élevées sont dans les pays méridionaux, et plus on approche de l’équateur, plus on trouve d’inégalités sur la surface du globe ; ceci est aisé à prouver par une courte énumération des montagnes et des îles.

En Amérique, la chaîne des Cordillères, les plus hautes montagnes de la terre, est précisément sous l’équateur, et elle s’étend des deux côtés bien loin au delà des cercles qui renferment la zone torride.

En Afrique, les hautes montagnes de la Lune et du Monomotapa, le grand et le petit Atlas, sont sous l’équateur ou n’en sont pas éloignés.

En Asie, le mont Caucase, dont la chaîne s’étend sous différents noms jusqu’aux montagnes de la Chine, est dans toute cette étendue plus voisin de l’équateur que des pôles. En Europe, les Pyrénées, les Alpes et les montagnes de la Grèce, qui ne sont que la même chaîne, sont encore moins éloignées de l’équateur que des pôles.