Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enterrées à une grande profondeur, et on ne les trouverait pas dans les marbres les plus solides à sept ou huit cents pieds de profondeur.

Dans toutes les carrières, ces coquilles font partie de la pierre à l’intérieur, et on en voit quelquefois à l’extérieur qui sont recouvertes de stalactites qui, comme l’on sait, ne sont pas des matières aussi anciennes que la pierre qui contient les coquilles : une seconde preuve que cela n’est point arrivé par un déluge, c’est que les os, les cornes, les ergots, les ongles, etc., etc., ne se trouvent que très rarement, et peut-être point du tout, renfermés dans les marbres et dans les autres pierres dures, tandis que, si c’était l’effet d’un déluge où tout aurait péri, on y devrait trouver les restes des animaux de la terre aussi bien que ceux des mers. (Voyez Ray’s Discourses, pages 178 et suiv.)

C’est, comme nous l’avons dit, une supposition bien gratuite, que de prétendre que toute la terre a été dissoute dans l’eau au temps du déluge ; et on ne peut donner quelque fondement à cette idée, qu’en supposant un second miracle qui aurait donné à l’eau la propriété d’un dissolvant universel, miracle dont il n’est fait aucune mention dans l’Écriture sainte ; d’ailleurs, ce qui anéantit la supposition et la rend même contradictoire, c’est que toutes les matières, ayant été dissoutes dans l’eau, les coquilles ne l’ont pas été, puisque nous les trouvons entières et bien conservées dans toutes les masses qu’on prétend avoir été dissoutes ; cela prouve évidemment qu’il n’y a jamais eu de telle dissolution, et que l’arrangement des couches horizontales et parallèles ne s’est pas fait en un instant, mais par les sédiments qui se sont amoncelés peu à peu, et qui ont enfin produit des hauteurs considérables par la succession des temps ; car il est évident, pour tous les gens qui se donneront la peine d’observer, que l’arrangement de toutes les matières qui composent le globe est l’ouvrage des eaux ; il n’est donc question que de savoir si cet arrangement a été fait dans le même temps : or nous avons prouvé qu’il n’a pas pu se faire dans le même temps, puisque les matières ne gardent pas l’ordre de la pesanteur spécifique et qu’il n’y a pas eu de dissolution générale de toutes les matières ; donc cet arrangement a été produit par les eaux ou plutôt par les sédiments qu’elles ont déposés dans la succession des temps ; toute autre révolution, tout autre mouvement, toute autre cause aurait produit un arrangement très différent ; d’ailleurs, un accident particulier, une révolution ou un bouleversement, n’aurait pas produit un pareil effet dans le globe tout entier, et, si l’arrangement des terres et des couches avait pour cause des révolutions particulières et accidentelles, on trouverait les pierres et les terres disposées différemment en différents pays, au lieu qu’on les trouve partout disposées de même par couches parallèles, horizontales, ou également inclinées.

Voici ce que dit à ce sujet l’historien de l’Académie (année 1718, pages 3 et suiv.) :

« Des vestiges, très anciens et en très grand nombre, d’inondations qui ont dû être très étendues[1], et la manière dont on est obligé de concevoir que les montagnes se sont formées[2], prouvent assez qu’il est arrivé autrefois à la surface de la terre de grandes révolutions. Autant qu’on en a pu creuser, on n’a presque vu que des ruines, des débris, de vastes décombres entassés pêle-mêle, et qui par une longue suite de siècles se sont incorporés ensemble et unis en une seule masse, le plus qu’il a été possible. S’il y a dans le globe de la terre quelque espèce d’organisation régulière, elle est plus profonde et par conséquent nous sera toujours inconnue, et toutes nos recherches se termineront à fouiller dans les ruines de la croûte extérieure. Elles donneront encore assez d’occupation aux philosophes.

» M. de Jussieu a trouvé aux environs de Saint-Chaumont, dans le Lyonnais, une grande quantité de pierres écailleuses ou feuilletées, dont presque tous les feuillets

  1. Voyez les Mémoires, p. 287.
  2. Voyez l’Hist. de 1703, p. 22, de 1706, p. 9, de 1708, p. 34, et de 1716, p. 8, etc.