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été formées, par les grands mouvements des ondes de la mer, et les cailloux, les cornalines, les calcédoines et toutes les matières qui sont dans les fentes perpendiculaires ayant été produites par le mouvement particulier d’une petite quantité d’eau chargée de différents sucs lapidifiques, métalliques, etc. ; et, dans les deux cas, les matières étaient réduites en poudre fine et impalpable qui a rempli l’intérieur des coquilles si pleinement et si absolument, qu’elle n’y a pas laissé le moindre vide, et qu’elle s’en est fait autant de moules, à peu près comme on voit un cachet se mouler sur le tripoli.

Il y a donc, dans les pierres, dans les marbres, etc., une multitude très grande de coquilles qui sont entières, belles et si peu altérées, qu’on peut aisément les comparer avec les coquilles qu’on conserve dans les cabinets ou qu’on trouve sur les rivages de la mer ; elles ont précisément la même figure et la même grandeur ; elles sont de la même substance et leur tissu est le même ; la matière particulière qui les compose est la même, elle est disposée et arrangée de la même manière, la direction de leurs fibres et des lignes-spirales est la même, la composition des petites lames formées par les fibres est la même dans les unes et les autres ; on voit dans le même endroit les vestiges ou insertions des tendons par le moyen desquels l’animal était attaché et joint à sa coquille, on y voit les mêmes stries, les mêmes cannelures ; enfin, tout est semblable, soit au dedans, soit au dehors de la coquille, dans sa cavité ou sur sa convexité, dans sa substance ou sur sa superficie : d’ailleurs, ces coquillages fossiles sont sujets aux mêmes accidents ordinaires que les coquillages de la mer ; par exemple, ils sont attachés les plus petits aux plus gros, ils ont des conduits vermiculaires, on y trouve des perles et d’autres choses semblables qui ont été produites par l’animal lorsqu’il habitait sa coquille, leur gravité spécifique est exactement la même que celle de leur espèce qu’on trouve actuellement dans la mer, et par la chimie on y trouve les mêmes choses ; en un mot, ils ressemblent exactement à ceux de la mer. (Voyez Woodward, page 13.)

J’ai souvent observé moi-même avec une espèce d’étonnement, comme je l’ai déjà dit, des montagnes entières, des chaînes de rochers, des bancs énormes de carrières tout composés de coquilles et d’autres débris de productions marines qui y sont en si grande quantité, qu’il n’y a pas à beaucoup près autant de volume dans la matière qui les lie.

J’ai vu des champs labourés dans lesquels toutes les pierres étaient des pétoncles pétrifiés, en sorte qu’en fermant les yeux et ramassant au hasard on pouvait parier de ramasser un pétoncle ; j’en ai vu d’entièrement couverts de cornes d’ammon, d’autres dont toutes les pierres étaient des cœurs-de-bœuf pétrifiés ; et plus on examinera la terre, plus on sera convaincu que le nombre de ces pétrifications est infini, et on en conclura qu’il est impossible que tous les animaux qui habitaient ces coquilles aient existé dans le même temps.

J’ai même fait une observation en cherchant ces coquilles, qui peut être de quelque utilité, c’est que, dans tous les pays où l’on trouve dans les champs et dans les terres labourables un très grand nombre de ces coquilles pétrifiées, comme pétoncles, cœurs-de bœuf, etc., entières, bien conservées et totalement séparées, on peut être assuré que la pierre de ces pays est gélisse. Ces coquilles ne s’en sont séparées en si grand nombre que par l’action de la gelée, qui détruit la pierre et laisse subsister plus longtemps la coquille pétrifiée.

Cette immense quantité de fossiles marins, que l’on trouve en tant d’endroits, prouve qu’ils n’ont pas été transportés par un déluge ; car on observe plusieurs milliers de gros rochers et des carrières dans tous les pays où il y a des marbres et de la pierre à chaux, qui sont toutes remplies de vertèbres d’étoiles de mer, de pointes d’oursins, de coquillages et d’autres débris de productions marines. Or si ces coquilles, qu’on trouve partout, eussent été amenées sur la terre sèche par un déluge ou par une inondation, la plus grande partie serait demeurée sur la surface de la terre, ou du moins elles ne seraient pas