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dont les uns sont petits, les autres gros, les uns jeunes, les autres vieux, quelques-uns imparfaits, d’autres entièrement parfaits ; on en voit même de petits et de jeunes attachés aux gros.

Le poisson à coquille appelé Purpura a une langue fort longue, dont l’extrémité est osseuse et pointue ; elle lui sert comme de tarière pour percer les coquilles des autres poissons et pour se nourrir de leur chair ; on trouve communément dans les terres des coquilles qui sont percées de cette façon, ce qui est une preuve incontestable qu’elles renfermaient autrefois des poissons vivants, et que ces poissons habitaient dans des endroits où il y avait aussi des coquillages de pourpre qui s’en étaient nourris. (Voyez Woodward, p. 296 et 300.)

Les obélisques de Saint-Pierre de Rome, de Saint-Jean-de-Latran, de la place Navone, viennent, à ce qu’on prétend, des pyramides d’Égypte ; elles sont de granit rouge, lequel est une espèce de roc vif ou de grès fort dur : cette matière, comme je l’ai dit, ne contient point de coquilles ; mais les anciens marbres africains et égyptiens, et les porphyres que l’on a tirés, dit-on, du temple de Salomon et des palais des rois d’Égypte et que l’on a employés à Rome en différents endroits, sont remplis de coquilles. Le porphyre rouge est composé d’un nombre infini de pointes de l’espèce d’oursin que nous appelons châtaigne de mer ; elles sont posées assez près les unes des autres et forment tous les petits points blancs qui sont dans ce porphyre : chacun de ces points blancs laisse voir encore dans son milieu un petit point noir, qui est la section du conduit longitudinal de la pointe de l’oursin. Il y a en Bourgogne, dans un lieu appelé Ficin, à trois lieues de Dijon, une pierre rouge tout à fait semblable au porphyre par sa composition, et qui n’en diffère que par la dureté, n’ayant que celle du marbre, qui n’est pas à beaucoup près si grande que celle du porphyre ; elle est de même entièrement composée de pointes d’oursins, et elle est très considérable par l’étendue de son lit de carrière et par son épaisseur ; on en a fait de très beaux ouvrages dans cette province, et notamment les gradins du piédestal de la figure équestre de Louis le Grand, qu’on a élevée au milieu de la place Royale à Dijon ; cette pierre n’est pas la seule de cette espèce que je connaisse ; il y a dans la même province de Bourgogne, près de la ville de Montbard, une carrière considérable de pierre composée comme le porphyre, mais dont la dureté est encore moindre que celle du marbre ; ce porphyre tendre est composé comme le porphyre dur, et il contient même une plus grande quantité de pointes d’oursins et beaucoup moins de matière rouge. Voilà donc les mêmes pointes d’oursins que l’on trouve dans le porphyre ancien d’Égypte et dans les nouveaux porphyres de Bourgogne, qui ne diffèrent des anciens que par le degré de dureté et par le nombre plus ou moins grand des pointes d’oursins qu’ils contiennent.

À l’égard de ce que les curieux appellent du porphyre vert, je crois que c’est plutôt un granit qu’un porphyre ; il n’est pas composé de pointes d’oursins, comme le porphyre rouge, et sa substance me paraît semblable à celle du granit commun. En Toscane, dans les pierres dont étaient bâtis les anciens murs de la ville de Vola terra, il y a une grande quantité de coquillages, et cette muraille était faite il y a deux mille cinq cents ans. (Voyez Stenon, in Prodromo diss. de solido intra solidum, page 63.) La plupart des marbres antiques, les porphyres et les autres pierres des plus anciens monuments contiennent donc des coquilles, des pointes d’oursins, et d’autres débris dès productions marines, comme les marbres que nous tirons aujourd’hui de nos carrières ; ainsi, on ne peut pas douter, indépendamment même du témoignage sacré de l’Écriture sainte, qu’avant le déluge la terre n’ait été composée des mêmes matières dont elle l’est aujourd’hui.

Par tout ce que nous venons de dire, on peut être assuré qu’on trouve des coquilles pétrifiées en Europe, en Asie et en Afrique, dans tous les lieux où le hasard a conduit les observateurs ; on en trouve aussi en Amérique, au Brésil, dans le Tucuman, dans les