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il y a des coquilles et d’autres productions marines : mais, pour aller par ordre, on en trouve sur les montagnes d’Espagne, sur les Pyrénées, sur les montagnes de France, sur celles d’Angleterre, dans toutes les carrières de marbres en Flandre, dans les montagnes de Gueldre, dans toutes les collines autour de Paris, dans toutes celles de Bourgogne et de Champagne, en un mot dans tous les endroits où le fond du terrain n’est pas de grès ou de tuf ; et, dans la plupart des lieux dont nous venons de parler, il y a presque dans toutes les pierres plus de coquilles que d’autres matières. J’entends ici par coquilles, non seulement les dépouilles des coquillages, mais celles des crustacés, comme têts et pointes d’oursin, et aussi toutes les productions des insectes de mer, comme les madrépores, les coraux, les astroïtes, etc. Je puis assurer, et on s’en convaincra par ses yeux quand on le voudra, que, dans la plupart des pierres calcinables et des marbres, il y a une si grande quantité de ces productions marines, qu’elles paraissent surpasser en volume la matière qui les réunit.

Mais suivons : on trouve ces productions marines dans les Alpes, même au-dessus des plus hautes montagnes, par exemple au-dessus du mont Cenis ; on en trouve dans les montagnes de Gênes, dans les Apennins et dans la plupart des carrières de pierre ou de marbre en Italie. On en voit dans les pierres dont sont bâtis les plus anciens édifices des Romains ; il y en a dans les montagnes du Tyrol et dans le centre de l’Italie, au sommet du mont Paterne, près de Boulogne, dans les mêmes endroits qui produisent cette pierre lumineuse qu’on appelle la pierre de Boulogne ; on en trouve dans les collines de la Pouille, dans celles de la Calabre, en plusieurs endroits de l’Allemagne et de la Hongrie, et généralement dans tous les lieux élevés de l’Europe. (Voyez, sur cela, Stenon, Ray, Woodward, etc.)

En Asie et en Afrique, les voyageurs en ont remarqué en plusieurs endroits ; par exemple, sur la montagne de Castravan, au-dessus de Barut, il y a un lit de pierre blanche, mince comme de l’ardoise, dont chaque feuille contient un grand nombre et une grande diversité de poissons ; ils sont la plupart fort plats et fort comprimés, comme la fougère fossile, et ils sont cependant si bien conservés qu’on y remarque parfaitement jusqu’aux moindres traits des nageoires, des écailles et de toutes les parties qui distinguent chaque espèce de poisson. On trouve de même beaucoup d’oursins de mer et de coquilles pétrifiées entre Suez et Le Caire, et sur toutes les collines et les hauteurs de la Barbarie ; la plupart sont exactement conformes aux espèces qu’on prend actuellement dans la mer Rouge. (Voyez les Voyages de Shaw, vol. II, p. 70 et 84.) Dans notre Europe, on trouve des poissons pétrifiés en Suisse, en Allemagne, dans la carrière d’Oningen, etc.

La longue chaîne de montagnes, dit M. Bourguet, qui s’étend d’occident en orient, depuis le fond du Portugal jusqu’aux parties les plus orientales de la Chine, celles qui s’étendent collatéralement du côté du nord et du midi, les montagnes d’Afrique et d’Amérique qui nous sont connues, les vallées et les plaines de l’Europe, renferment toutes des couches de terre et de pierres qui sont remplies de coquillages, et de là on peut conclure pour les autres parties du monde qui nous sont inconnues.

Les îles de l’Europe, celles de l’Asie et de l’Amérique où les Européens ont eu occasion de creuser, soit dans les montagnes, soit dans les plaines, fournissent aussi des coquilles, ce qui fait voir qu’elles ont cela de commun avec les continents qui les avoisinent. (Voyez Lett. phil. sur la form. des sels, p. 205.)

En voilà assez pour prouver qu’en effet on trouve des coquilles de mer, des poissons pétrifiés et d’autres productions marines presque dans tous les lieux où on a voulu les chercher, et qu’elles y sont en prodigieuse quantité. « Il est vrai, dit un auteur anglais (Tancred Robinson), qu’il y a eu quelques coquilles de mer dispersées çà et là sur la terre par les armées, par les habitants des villes et villages, et que La Loubère rapporte, dans son voyage de Siam, que les singes au Cap de Bonne-Espérance s’amusent conti-