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a erreur d’optique et erreur de jugement ; en regardant une plaine ou tout autre terrain de niveau, qui s’étend fort au loin, il paraît s’élever, et, au contraire, en voyant de loin des collines elles paraissent s’abaisser : ce n’est pas ici le lieu de donner la raison mathématique de cette différence. D’autre côté, il est fort difficile de juger par le simple coup d’œil où se trouve le milieu d’une grande vallée, à moins qu’il n’y ait une rivière ; au lieu que, dans les vallons serrés, le rapport des yeux est moins équivoque et le jugement plus certain. Cette partie de la Bourgogne qui est comprise entre Auxerre, Dijon, Autun et Bar-sur-Seine, et dont une étendue considérable s’appelle le bailliage de la Montagne, est un des endroits les plus élevés de la France ; d’un côté de la plupart de ces montagnes qui ne sont que du second ordre, et qu’on ne doit regarder que comme des collines élevées, les eaux coulent vers l’Océan, et de l’autre vers la Méditerranée ; il y a des points de partage, comme à Sombernon, Pouilly-en-Auxois, etc., où on peut tourner les eaux indifféremment vers l’Océan ou vers la Méditerranée : ce pays élevé est entrecoupé de plusieurs petits vallons assez serrés et presque tous arrosés de gros ruisseaux ou de petites rivières. J’ai mille et mille fois observé la correspondance des angles de ces collines et leur égalité de hauteur, et je puis assurer que j’ai trouvé partout les angles saillants opposés aux angles rentrants, et les hauteurs à peu près égales des deux côtés. Plus on avance dans le pays élevé où sont les points de partage dont nous venons de parler, plus les montagnes ont de hauteur ; mais cette hauteur est toujours la même des deux côtés des vallons, et les collines s’élèvent ou s’abaissent également : en se plaçant à l’extrémité des vallons dans le milieu de la largeur, j’ai toujours vu que le bassin du vallon était environné et surmonté de collines dont la hauteur était égale ; j’ai fait la même observation dans plusieurs autres provinces de France. C’est cette égalité de hauteur dans les collines qui fait les plaines en montagnes ; ces plaines forment, pour ainsi dire, des pays élevés au-dessus d’autres pays ; mais les hautes montagnes ne paraissent pas être si égales en hauteur ; elles se terminent la plupart en pointes et en pics irréguliers, et j’ai vu, en traversant plusieurs fois les Alpes et l’Apennin, que les angles sont en effet correspondants, mais qu’il est presque impossible de juger à l’œil de l’égalité ou de l’inégalité de hauteur des montagnes opposées, parce que leur sommet se perd dans les brouillards et dans les nues.

Les différentes couches dont la terre est composée ne sont pas disposées suivant l’ordre de leur pesanteur spécifique : souvent on trouve des couches de matières pesantes posées sur des couches de matières plus légères ; pour s’en assurer, il ne faut qu’examiner la nature des terres sur lesquelles portent les rochers, et on verra que c’est ordinairement sur des glaises ou sur des sables qui sont spécifiquement moins pesants que la matière du rocher : dans les collines et dans les autres petites élévations, on reconnaît facilement la base sur laquelle portent les rochers ; mais il n’en est pas de même des grandes montagnes ; non seulement le sommet est de rocher, mais ces rochers portent sur d’autres rochers : il y a montagnes sur montagnes et rochers sur rochers, à des hauteurs si considérables et dans une si grande étendue de terrain, qu’on ne peut guère s’assurer s’il y a de la terre dessous et de quelle nature est cette terre. On voit des rochers coupés à pic qui ont plusieurs centaines de pieds de hauteur ; ces rochers portent sur d’autres, qui peut-être n’en ont pas moins ; cependant ne peut-on pas conclure du petit au grand ? Et puisque les rochers des petites montagnes dont on voit la base portent sur des terres moins pesantes et moins solides que la pierre, ne peut-on pas croire que la base des hautes montagnes est aussi de terre ? Au reste, tout ce que j’ai à prouver ici, c’est qu’il a pu arriver naturellement, par le mouvement des eaux, qu’il se soit accumulé des matières plus pesantes au-dessus des plus légères, et que, si cela se trouve en effet dans la plupart des collines, il est probable que cela est arrivé comme je l’explique dans le texte ; mais quand même on voudrait se refuser à mes raisons, en m’objectant que je ne suis pas bien