Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la côte de l’île d’Edges, résolurent d’aller plus au nord, et qu’étant de retour au bout de quinze jours, ces Hollandais lui dirent qu’ils avaient été jusqu’au 89e degré de latitude, c’est-à-dire à un degré du pôle, et que là ils n’avaient point trouvé de glaces, mais une mer libre et ouverte, fort profonde et semblable à celle de la baie de Biscaye, et qu’ils lui montrèrent quatre journaux des deux vaisseaux, qui attestaient la même chose et s’accordaient à fort peu de chose près. Enfin il est rapporté, dans les Transactions philosophiques, que deux navigateurs, qui avaient entrepris de découvrir ce passage, firent une route de 300 lieues à l’orient de la Nouvelle-Zemble, mais qu’étant de retour la Compagnie des Indes, qui avait intérêt que ce passage ne fût pas découvert, empêcha ces navigateurs de retourner. (Voyez le Recueil des voyages du Nord, page 200.) Mais la Compagnie des Indes de Hollande crut, au contraire, qu’il était de son intérêt de trouver ce passage ; l’ayant tenté inutilement du côté de l’Europe, elle le fit chercher du côté du Japon, et elle aurait apparemment réussi, si l’empereur du Japon n’eût pas interdit aux étrangers tout navigation du côté des terres de Jesso. Ce passage ne peut donc se trouver qu’en allant droit au pôle au delà du Spitzberg, ou bien en suivant le milieu de la haute mer, entre la Nouvelle-Zembleet le Spitzberg, sous le 79e degré de latitude : si cette mer a une largeur considérable, on ne doit pas craindre de la trouver glacée à cette latitude, et pas même sous le pôle, par les raisons que nous avons alléguées ; en effet, il n’y a pas d’exemple qu’on ait trouvé la surface de la mer glacée au large et à une distance considérable des côtes ; le seul exemple d’une mer totalement glacée est celui de la mer Noire ; elle est étroite et peu salée, et elle reçoit une très grande quantité de fleuves qui viennent des terres septentrionales et qui y apportent des glaces ; aussi elle gèle quelquefois au point que sa surface est entièrement glacée, même à une profondeur considérable, et, si on en croit les historiens, elle gela, du temps de l’empereur Copronyme, de trente coudées d’épaisseur, sans compter vingt coudées de neige qu’il y avait par-dessus la glace : ce fait me paraît exagéré, mais il est sûr qu’elle gèle presque tous les hivers, tandis que les hautes mers, qui sont de mille lieues plus près du pôle, ne gèlent pas ; ce qui ne peut venir que de la différence de la salure et du peu de glaces qu’elles reçoivent par les fleuves, en comparaison de la quantité énorme de glaçons qu’ils transportent dans la mer Noire.

Ces glaces, que l’on regarde comme des barrières qui s’opposent à la navigation vers les pôles et à la découverte des terres australes, prouvent seulement qu’il y a de très grands fleuves dans le voisinage des climats où on les a rencontrées ; par conséquent, elles nous indiquent aussi qu’il y a de vastes continents d’où ces fleuves tirent leur origine, et on ne doit pas se décourager à la vue de ces obstacles ; car, si l’on y fait attention, l’on reconnaîtra aisément que ces glaces ne doivent être que dans de certains endroits particuliers ; qu’il est presque impossible que dans le cercle entier, que nous pouvons imaginer terminer les terres australes du côté de l’équateur, il y ait partout de grands fleuves qui charrient des glaces, et que par conséquent il y a grande apparence qu’on réussirait en dirigeant sa route vers quelque autre point de ce cercle. D’ailleurs, la description que nous ont donnée Dampier et quelques autres voyageurs du terrain de la Nouvelle-Hollande nous peut faire soupçonner que cette partie du globe qui avoisine les terres australes, et qui peut-être en fait partie, est un pays moins ancien que le reste de ce continent inconnu. La Nouvelle-Hollande est une terre basse, sans eaux, sans montagnes, peu habitée, dont les naturels sont sauvages et sans industrie ; tout cela concourt à nous faire penser qu’ils pourraient être dans ce continent à peu près ce que les sauvages des Amazones ou du Paraguay sont en Amérique. On a trouvé des hommes policés, des empires et des rois au Pérou, au Mexique, c’est-à-dire dans les contrées de l’Amérique les plus élevées, et par conséquent les plus anciennes ; les sauvages, au contraire, se sont trouvés dans les contrées les plus basses et les plus nouvelles : ainsi on peut présumer