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Écriture que ces auteurs ont supposé que la terre était avant le déluge totalement différente de ce qu’elle est aujourd’hui, et cette contradiction de leurs hypothèses avec le texte sacré, aussi bien que leur opposition avec les vérités physiques, doit faire rejeter leurs systèmes, quand même ils seraient d’accord avec quelques phénomènes ; mais il s’en faut bien que cela soit ainsi. Burnet, qui a écrit le premier, n’avait pour fonder son système ni observations ni faits. Woodward n’a donné qu’un essai, où il promet beaucoup plus qu’il ne peut tenir : son livre est un projet dont n’a pas vu l’exécution. On voit seulement qu’il emploie deux observations générales : la première, que la terre est partout composée de matières qui autrefois ont été dans un état de mollesse et de fluidité, qui ont été transportées par les eaux, et qui se sont déposées par couches horizontales ; la seconde, qu’il y a des productions marines dans l’intérieur de la terre en une infinité d’endroits. Pour rendre raison de ces faits, il a recours au déluge universel, ou plutôt il paraît ne les donner que comme preuves du déluge, mais il tombe, aussi bien que Burnet, dans des contradictions évidentes ; car il n’est pas permis de supposer avec eux qu’avant le déluge il n’y avait point de montagnes, puisqu’il est dit précisément et très clairement que les eaux surpassèrent de 15 coudées les plus hautes montagnes ; d’autre côté, il n’est pas dit que ces eaux aient détruit et dissous ces montagnes ; au contraire, ces montagnes sont restées en place, et l’arche s’est arrêtée sur celle que les eaux ont laissée la première à découvert. D’ailleurs, comment peut-on s’imaginer que, pendant le peu de temps qu’a duré le déluge, les eaux aient pu dissoudre les montagnes et toute la terre ? N’est-ce pas une absurdité de dire qu’en quarante jours l’eau a dissous tous les marbres, tous les rochers, toutes les pierres, tous les minéraux ? N’est-ce pas une contradiction manifeste que d’admettre cette dissolution totale, et en même temps de dire que les coquilles et les productions marines ont été préservées, et que, tout ayant été détruit et dissous, elles seules ont été conservées, de sorte qu’on les retrouve aujourd’hui entières et les mêmes qu’elles étaient avant le déluge ? Je ne craindrai donc pas de dire qu’avec d’excellentes observations Woodward n’a fait qu’un fort mauvais système. Whiston, qui est venu le dernier, a beaucoup enchéri sur les deux autres ; mais, en donnant une vaste carrière à son imagination, au moins n’est-il pas tombé en contradiction ; il dit des choses fort peu croyables, mais du moins elles ne sont ni absolument ni évidemment impossibles. Comme on ignore ce qu’il y a au centre et dans l’intérieur de la terre, il a cru pouvoir supposer que cet intérieur était occupé par un noyau solide, environné d’un fluide pesant et ensuite d’eau sur laquelle la croûte extérieure du globe était soutenue, et dans laquelle les différentes parties de cette croûte se sont enfoncées plus ou moins, à proportion de leur pesanteur ou de leur légèreté relative ; ce qui a produit les montagnes et les inégalités de la surface de la terre. Il faut avouer que cet astronome a fait ici une faute de mécanique ; il n’a pas songé que la terre, dans cette hypothèse, doit faire voûte de tous côtés, que par conséquent elle ne peut être portée sur l’eau qu’elle contient, et encore moins y enfoncer : à cela près, je ne sache pas qu’il y ait d’autres erreurs de physique dans ce système. Il y en a un grand nombre quant à la métaphysique et à la théologie ; mais enfin on ne peut pas nier absolument que la terre, rencontrant la queue d’une comète, lorsque celle-ci s’approche de son périhélie, ne puisse être inondée, surtout lorsqu’on aura accordé à l’auteur que la queue d’une comète peut contenir des vapeurs aqueuses. On ne peut nier non plus, comme une impossibilité absolue, que la queue d’une comète en revenant du périhélie ne puisse brûler la terre, si on suppose, avec l’auteur, que la comète ait passé fort près du soleil, et qu’elle ait été prodigieusement échauffée pendant son passage : il en est de même du reste de ce système ; mais, quoiqu’il n’y ait pas d’impossibilité absolue, il y a si peu de probabilité à chaque chose prise séparément, qu’il en résulte une impossibilité pour le tout pris ensemble.

Les trois systèmes dont nous venons de parler ne sont pas les seuls ouvrages qui