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d’histoire du déluge. Voilà le système, de la vérité duquel l’auteur ne trouve pas le moyen de pouvoir douter ; car, quand on lui oppose que l’eau ne peut point dissoudre les marbres, les pierres, les métaux, surtout en quarante jours qu’a duré le déluge, il répond simplement que cependant cela est arrivé ; quand on lui demande quelle était donc la vertu de cette eau de l’abîme, pour dissoudre toute la terre et conserver en même temps les coquilles, il dit qu’il n’a jamais prétendu que cette eau fût un dissolvant, mais qu’il est clair par les faits que la terre a été dissoute et que les coquilles ont été préservées ; enfin lorsqu’on le presse et qu’on lui fait voir évidemment que, s’il n’a aucune raison à donner de ces phénomènes, son système n’explique rien, il dit qu’il n’y a qu’à imaginer que, dans le temps du déluge, la force de la gravité et de la cohérence de la matière a cessé tout à coup, et qu’au moyen de cette supposition, dont l’effet est fort aisé à concevoir, on explique d’une manière satisfaisante la dissolution de l’ancien monde. Mais, lui dit-on, si la force qui tient unies les parties de la matière a cessé, pourquoi les coquilles n’ont-elles pas été dissoutes comme tout le reste ? Ici, il fait un discours sur l’organisation des coquilles et des os des animaux, par lequel il prétend prouver que, leur texture étant fibreuse et différente de celle des minéraux, leur force de cohésion est aussi d’un autre genre ; après tout, il n’y a, dit-il, qu’à supposer que la force de la gravité et de la cohérence n’a pas cessé entièrement, mais seulement qu’elle a été diminuée assez pour désunir toutes les parties des minéraux, mais pas assez pour désunir celles des animaux. À tout ceci on ne peut s’empêcher de reconnaître que notre auteur n’était pas aussi bon physicien qu’il était bon observateur, et je ne crois pas qu’il soit nécessaire que nous réfutions sérieusement des opinions sans fondement, surtout lorsqu’elles ont été imaginées contre les règles de la vraisemblance, et qu’on n’en a tiré que des conséquences contraires aux lois de la mécanique.





ARTICLE V

EXPOSITION DE QUELQUES AUTRES SYSTÈMES



On voit bien que les trois hypothèses dont nous venons de parler ont beaucoup de choses communes ; elles s’accordent toutes en ce point, que dans le temps du déluge la terre a changé de forme, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur : ainsi tous ces spéculatifs n’ont pas fait attention que la terre avant le déluge, étant habitée par les mêmes espèces d’hommes et d’animaux, devait être nécessairement telle, à très peu près, qu’elle est aujourd’hui ; et qu’en effet les livres saints nous apprennent qu’avant le déluge il y avait sur la terre des fleuves, des mers, des montagnes, des forêts et des plantes ; que ces fleuves et ces montagnes étaient, pour la plupart, les mêmes, puisque le Tigre et l’Euphrate étaient les fleuves du paradis terrestre ; que la montagne d’Arménie sur laquelle l’arche s’arrêta était une des plus hautes montagnes du monde au temps du déluge, comme elle l’est encore aujourd’hui ; que les mêmes plantes et les mêmes animaux qui existent existaient alors, puisqu’il y est parlé du serpent, du corbeau, et que la colombe rapporta une branche d’olivier ; car, quoique M. de Tournefort prétende qu’il n’y a point d’olivier à plus de 400 lieues du mont Ararath, et qu’il fasse sur cela d’assez mauvaises plaisanteries (Voyage du Levant, vol. II, p. 336), il est cependant certain qu’il y en avait en ce lieu dans le temps du déluge, puisque le livre sacré nous en assure, et il n’est pas étonnant que dans un espace de 4 000 ans les oliviers aient été détruits dans ces cantons et se soient multipliés dans d’autres ; c’est donc à tort et contre la lettre de la Sainte