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terre habitable et le premier séjour de l’homme. C’était un excellent terrain, une terre légère, grasse, et faite exprès pour se prêter à la faiblesse des premiers germes. La surface du globe terrestre était donc dans ces premiers temps égale, uniforme, continue, sans montagnes, sans mers et sans inégalités ; mais la terre ne demeura qu’environ seize siècles dans cet état, car la chaleur du soleil, desséchant peu à peu cette croûte limoneuse, la fit fendre d’abord à la surface ; bientôt ces fentes pénétrèrent plus avant et s’augmentèrent si considérablement avec le temps, qu’enfin elles s’ouvrirent en entier ; dans un instant toute la terre s’écroula et tomba par morceaux dans l’abîme d’eau qu’elle contenait : voilà comme se fit le déluge universel.

Mais toutes ces masses de terre en tombant dans l’abîme entraînèrent une grande quantité d’air, et elles se heurtèrent, se choquèrent, se divisèrent, s’accumulèrent si irrégulièrement, qu’elles laissèrent entre elles de grandes cavités remplies d’air ; les eaux s’ouvrirent peu à peu les chemins de ces cavités, et, à mesure qu’elles les remplissaient, la surface de la terre se découvrait dans les parties les plus élevées ; enfin il ne resta de l’eau que dans les parties les plus basses, c’est-à-dire dans les vastes vallées qui contiennent la mer ; ainsi notre océan est une partie de l’ancien abîme, le reste est entré dans les cavités intérieures avec lesquelles communique l’océan. Les îles et les écueils sont les petits fragments, les continents sont les grandes masses de l’ancienne croûte ; et, comme la rupture et la chute de cette croûte se sont faites avec confusion, il n’est pas étonnant de trouver sur la terre des éminences, des profondeurs, des plaines et des inégalités de toute espèce.

Cet échantillon du système de Burnet suffit pour en donner une idée ; c’est un roman bien écrit, et un livre qu’on peut lire pour s’amuser, mais qu’on ne doit pas consulter pour s’instruire. L’auteur ignorait les principaux phénomènes de la terre et n’était nullement informé des observations ; il a tout tiré de son imagination qui, comme l’on sait, sert volontiers aux dépens de la vérité.





ARTICLE IV

DU SYSTÈME DE M. WOODWARD[1]



On peut dire de cet auteur qu’il a voulu élever un monument immense sur une base moins solide que le sable mouvant, et bâtir l’édifice du monde avec de la poussière ; car il prétend que, dans le temps du déluge, il s’est fait une dissolution totale de la terre ; la première idée qui se présente après avoir lu son livre, c’est que cette dissolution s’est faite par les eaux du grand abîme, qui se sont répandues sur la surface de la terre, et qui ont délayé et réduit en pâte les pierres, les rochers, les marbres, les métaux, etc. Il prétend que l’abîme, où cette eau était renfermée, s’ouvrit tout d’un coup à la voix de Dieu, et répandit sur la surface de la terre la quantité énorme d’eau qui était nécessaire pour la couvrir et surmonter de beaucoup les plus hautes montagnes, et que Dieu suspendit la cause de la cohésion des corps, ce qui réduisit tout en poussière, etc. Il ne fait pas attention que, par ses suppositions, il ajoute au miracle du déluge universel d’autres miracles, ou tout au moins des impossibilités physiques qui ne s’accordent ni avec la lettre de la sainte Écriture, ni avec les principes mathématiques de la philosophie naturelle. Mais comme cet auteur a le mérite d’avoir rassemblé plusieurs observations impor-

  1. Jean Woodward. An Essay towards the Natural History of the Earth, etc.