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gravité spécifique ; les fluides pesants descendirent au plus bas, et abandonnèrent aux parties terrestres, aqueuses et aériennes la région supérieure : celles-ci descendirent aussi dans leur ordre de pesanteur, d’abord la terre, ensuite l’eau, et enfin l’air ; et cette sphère d’un chaos immense se réduisit à un globe d’un volume médiocre, au centre duquel est le noyau solide qui conserve encore aujourd’hui la chaleur que le soleil lui a autrefois communiquée lorsqu’il était noyau de comète. Cette chaleur peut bien durer depuis six mille ans, puisqu’il en faudrait cinquante mille à la comète de 1680 pour se refroidir, et qu’elle a éprouvé en passant à son périhélie une chaleur deux mille fois plus grande que celle d’un fer rouge. Autour de ce noyau solide et brûlant qui occupe le centre de la terre, se trouve le fluide dense et pesant qui descendit le premier, et c’est ce fluide qui forme le grand abîme sur lequel la terre porterait comme le liège sur le vif-argent ; mais comme les parties terrestres étaient mêlées de beaucoup d’eau, elles ont en descendant entraîné une partie de cette eau qui n’a pu remonter lorsque la terre a été consolidée, et cette eau forme une couche concentrique au fluide pesant qui enveloppe le noyau, de sorte que le grand abîme est composé de deux orbes concentriques, dont le plus intérieur est un fluide pesant, et le supérieur est de l’eau ; c’est proprement cette couche d’eau qui sert de fondement à la terre, et c’est de cet arrangement admirable de l’atmosphère de la comète que dépendent la théorie de la terre et l’explication des phénomènes.

Car on sent bien que, quand l’atmosphère de la comète fut une fois débarrassée de toutes ces matières solides et terrestres, il ne resta plus que la matière légère de l’air, à travers laquelle les rayons du soleil passèrent librement, ce qui tout d’un coup reproduisit la lumière, fiat lux. On voit bien que les colonnes qui composent l’orbe de la terre, s’étant formées avec tant de précipitation, elles se sont trouvées de différentes densités, et que par conséquent les plus pesantes ont enfoncé davantage dans ce fluide souterrain, tandis que les plus légères ne se sont enfoncées qu’à une moindre profondeur, et c’est ce qui a produit sur la surface de la terre des vallées et des montagnes : ces inégalités étaient, avant le déluge, dispersées et situées autrement qu’elles ne le sont aujourd’hui ; au lieu de la vaste vallée qui contient l’océan, il y avait sur toute la surface du globe plusieurs petites cavités séparées qui contenaient chacune une partie de cette eau, et faisaient autant de petites mers particulières ; les montagnes étaient aussi plus divisées et ne formaient pas des chaînes comme elles en forment aujourd’hui. Cependant la terre était mille fois plus peuplée, et par conséquent mille fois plus fertile qu’elle ne l’est, la vie des hommes et des animaux était dix fois plus longue, et tout cela parce que la chaleur intérieure de la terre, qui provient du noyau central, était alors dans toute sa force, et que ce plus grand degré de chaleur faisait éclore et germer un plus grand nombre d’animaux et de plantes, et leur donnait le degré de vigueur nécessaire pour durer plus longtemps et se multiplier plus abondamment ; mais cette même chaleur, en augmentant les forces du corps, porta malheureusement à la tête des hommes et des animaux ; elle augmenta les passions, elle ôta la sagesse aux animaux et l’innocence à l’homme ; tout, à l’exception des poissons qui habitent un élément froid, se ressentit des effets de cette chaleur du noyau ; enfin tout devint criminel et mérita la mort : elle arriva, cette mort universelle un mercredi 28 novembre, par un déluge affreux de quarante jours et de quarante nuits, et ce déluge fut causé par la queue d’une autre comète qui rencontra la terre en revenant de son périhélie.

La queue d’une comète est la partie la plus légère de son atmosphère : c’est un brouillard transparent, une vapeur subtile que l’ardeur du soleil fait sortir du corps et de l’atmosphère de la comète ; cette vapeur, composée de particules aqueuses et aériennes extrêmement raréfiées, suit la comète lorsqu’elle descend à son périhélie, et la précède lorsqu’elle remonte, en sorte qu’elle est toujours située du côté opposé au soleil, comme si elle cherchait à se mettre à l’ombre et à éviter la trop grande ardeur de cet astre. La