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LA LITTÉRATURE PERSONNELLE 243 beaucoup plus difficile, ni ne serait au besoin moins fécond. En tout cas, avant de consigner dans son Journal tout ce que nous voyons que Ton y consigne de choses parfaitement indifférentes, il ne pourrait être mauvais d’y regarder de plus près, car on évite- rait ainsi, de tous les reproches, le plus sensible aux auteurs de Mémoires, à ce qu’il me semble : c’est celui de banalité ; et on ne s’exposerait pas à s’en- tendre dire que l’on ressemble beaucoup à tout le monde, quand on n’a écrit que pour lui montrer com- bien on en différait. Et enfin, si l’on en diffère, ne serait-il pas bon d’examiner comment et pourquoi ? Car il ne suffit pas d’être comme l’on est, mais encore faut-il avoir raison de l’être. Le même Pascal, qui a déclaré que le « Moi était haïssable », a dit aussi le plaisir que l’on éprouvait, cherchant un auteur dans un livre, d’y «rencontrer un homme ». Dans l’un comme dans l’autre cas, Pascal avait raison. Notre Moi, c’est en effet en nous ce qui se distingue, pour s’y opposer, du reste de l’humanité; c’est ce qu’il y a en nous, non pas du tout de plus intime, mais de plus différent, et qui ne consiste quelquefois qu’en une déplaisante affectation d’originalité; ce n’est trop souvent que la coupe de nos pantalons, la couleur de nos cravates, ou la forme de nos chapeaux. Mais VHomnie^ au con- traire, c’est ce qu’il y a en nous de plus semblable à l’auditeur qui nous écoute ou au lecteur qui nous lit; c’est ce qu’il y a de plus humain, qui nous rapproche