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LA LITTÉRATURE PERSONNELLE 235 Racine lui-mcme, ou encore au xvi® siècle un Malherbe, un Ronsard, un du Bellay. C’est en vain qu’ils sont vraiment poètes ; ou, quand ils ne le sont pas, comme Malherbe et Jean-Baptiste, c’est en vain qu’ils sont de très habiles versificateurs, leur inspi^ ration s’épuise et leur talent s’use dans des formes vides, et leurs chants manquent d’âme, parce que leur personne n^y est point. Otez au poète le droit de nous entretenir de lui-même, inquiétez-le seulement sur Io légitimité de son égoïsme, persuadez-lui qu’il y a quelque chose de plus intéressant ou de plus impor- tant au monde que ses joies ou ses douleurs, que ses plaisirs ou que son désespoir, vous tarissez en^ quelque sorte le lyrisme dans ses sources. Si je ne craignais que le mot n’eût l’air d’une raillerie, quoi- que sûrement il n’en soit pas une, je dirais volontiers que pour faire un grand poète lyrique, il y faut beau- coup d’autres qualités sans doute, mais qu’il en est une sans laquelle toutes les autres sont stériles, — et c’est tout simplement l’égoïsme. Oui; avec des diffé- rences, nombreuses et considérables, le monde a peu vu d’égoïstes qui le fussent au degré, et avec la sécu- rité, la tranquillité, la sérénité, la naïveté des Byron et des Goethe, des Lamartine, des Hugo, des Musset, , et véritablement, ils ne devaient pas être agréables à vivre, mais depuis qu’ils sont morts, et de leur vivant aussi, — à la seule condition de ne les pas fréV quenter, — quels grands poètes ! Or, comme on Ta remarqué plusieurs fois, si