à la religion de la science ou de l’art, ils n’ont point connu les joies tumultueuses de la popularité, mais ils n’en ont pas non plus éprouvé l’inconstance ; ils ne l’éprouveront pas; et parce qu’ils ont écarté de leur œuvre l’élément passionnel, ni leur art n’a connu l’hésitation ou le trouble, ni leur talent ne les a quittés avec leur jeunesse. Évitons les passions ! Nous ne sentons plus aujourd’hui, nous n’aimons plus comme on faisait en 1830, à la manière forcenée des héros de Dumas ou d’Hugo, et cela nous suffit pour nous rendre Antony ou Ruy-Blas insupportables :
Mais la Beauté flamboie, et tout renaît en elle,
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs.
C’est précisément ce que je m’étais efforcé de mettre
en lumière, dans la leçon à laquelle je m’excuse
d’avoir fait allusion tout à l’heure, et, à cet égard, je
n’en voudrais aujourd’hui rien retrancher, ni rien
corriger. Pour les raisons que je viens de dire, la mort
inattendue de Leconte de Lisle ne m’a rien révélé
dans son œuvre que je n’y eusse vu du vivant du
poète. Mais c’est le propre des grands écrivains que
l’on en puisse toujours reparler sans se répéter, et
quand on croit en avoir tout dit, il en reste encore
quelque chose à dire, ou les mêmes choses, mais
d’une autre manière. On les dit mieux aussi quand on
les dit pour la troisième ou quatrième fois. Et puisque
après tout la vérité ne s’enfonce et ne se grave dans
les esprits distraits des hommes qu’à force de répéti-