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L’ÉVOLUTION DES GENRES.

les virtuoses, il se soit complu à faire étalage et parade de son talent, ce n’est pas aujourd’hui le point. Mais ce que je constate, c’est que par là encore, il n’enrichissait pas seulement l’art et la poésie, mais il obligeait la critique à les suivre, à compter dans les œuvres avec des mérites pour lesquels elle n’avait encore ni poids, comme on dit, ni mesure, ni vocabulaire. Ou si vous l’aimez mieux, en lui faisant connaître ainsi des beautés dont assurément ni les Suard ni les Dussault n’avaient le moindre soupçon, il allait obliger leurs successeurs à faire la théorie de ces beautés mêmes, et à reviser, pour les abandonner, ceux de leurs principes qui en étaient la trop évidente négation. Vous connaissez le mot de ce démocrate : « Il faut bien que je les suive, disait-il en parlant des siens, puisque je suis leur chef ». C’est dans cette situation que Mme de Staël et Chateaubriand ont mis la critique de leur temps, et, pour qu’elle les suivît, ils en ont pris la tête.

Chateaubriand d’ailleurs a lui-même heureusement résumé son intention, dans une maxime devenue célèbre, quand il a dit « qu’à la critique stérile des défauts il était venu substituer la critique féconde des beautés ». Rien de plus juste ou rien de plus faux que ce principe, selon qu’on veut l’entendre. Car la « critique des défauts » a au moins cet avantage qu’elle nous met à même de les éviter ; mais la « critique des beautés » a cet inconvénient qu’elle nous invite à les imiter, ce qui n’en produit d’habitude qu’une assez méchante parodie. Plût aux Dieux que Chapelain eût été moins habile à la « critique des beautés » de Virgile ou du Tasse ! il n’eût pas com-