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THÉORIE DU LIEU COMMUN.

Ce n’est pas sous une autre influence que, dans l’histoire de notre langue, on a vu disparaître la plupart de ces métaphores empruntées jadis des usages latins ou de la mythologie grecque. Je ne crois pas qu’aucun avocat, de nos jours, osât placer son client sous « le bouclier des lois », ou déposer le dossier de sa cause dans « les balances de Thémis ». Pourquoi ? Parce qu’il y a beau temps que les officiers d’armement ne délivrent plus de boucliers aux conscrits, et parce que de tout temps Thémis n’a rien été pour nous modernes qu’une figure allégorique. Quelques-unes de ces métaphores survivront, et, dans le style de nos pères, mais avec une légère nuance d’ironie de soi-même, on pourra continuer de parler « de bouquets à Chloris », parce qu’il y aura des Chloris en tout temps, de quelque nom qu’on les appelle, et que l’on continuera de leur adresser des vers ; — ou du moins je veux l’espérer. Mais le « carquois de l’Amour », mais « la ceinture de Vénus », mais « le flambeau de l’hymen », et que sais-je encore ? toute cette friperie mythologique est reléguée désormais pour longtemps dans le magasin d’accessoires des théâtres d’opérettes. Et cependant, soyez bien persuadés que vous les verriez reparaître et briller d’un renouveau de jeunesse, si, par un hasard heureusement improbable, les modes antiques, elles aussi, venaient un jour à renaître du fond des vieux souvenirs du directoire et de l’empire. Dans un grand salon carré, parmi des meubles anguleux, mettez une femme habillée de la