Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.


VINGT-QUATRE HEURES

Philippe était assis sur un banc de square. Dans sa petite pipe, il fumait des mégots qu’un reste de pudeur ne lui avait fait ramasser que dans des rues anonymes, ces étroites voies chaudes de l’été, où il y a des pelures de bananes, des enfants nu-pieds et tant de femmes enceintes sur le pas des portes.

Philippe s’était assis, parce qu’il ne pouvait plus avancer. Il était acculé, il n’avait plus de but immédiat. Tout à l’heure, il avait vidé sa dernière bouteille de jaune, prenant son temps, au coin d’une rue, et, voyant qu’on le regardait, il était resté là, allumant avec lenteur sa petite pipe : ce n’était qu’une demi-bouteille, deux onces, et il était inquiet, deux onces, ce ne serait pas assez pour le remonter, le faire revivre. Philippe regrettait de n’avoir pas tout bu, d’un coup, lorsque, une heure auparavant, il avait acheté la drogue. Il était puni de son avarice, et plus le sou, maintenant, pour se rattraper !

Sur le banc, il avait posé une liasse de Gringoires, de Candides, de Mariannes, qu’il n’avait pas la force de lire. C’est machinalement que, depuis des semaines, il allait quêter ces feuilles chez Pageau. Il ne lisait même plus ça.

Des femmes passaient, les yeux de Philippe les suivaient avec peine, comme un oiseau bat