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DE PHILIPPE

nesse fière d’y étaler sa liberté morale. Des faces tombent de fatigue, les conversations s’amortissent, aussitôt levées, bientôt il n’y aurait que le sommeil et le sourire triste des bouches dans leurs rêves, avec un vague abandon à une douleur inconsciente : mais surtout ce petit phonographe courageux et qui rythme toute cette débauche enfantine avec le courage d’une horloge qui ne se lasse pas.

La grue du fils obtint, après maintes démarches, un billet de rapatriement pour la France, et tout un jour, le petit resta enfermé avec elle dans la cuisine. Si l’un ou l’autre en sortait, c’était des yeux rougis que l’on apercevait, des joues bouffies de chagrin. Tous feignaient de n’y prendre garde, l’alcool poivré remplissait toujours les verres et le fidèle petit phonographe tournait Pagan love song.

L’instant du départ arriva, la Française partit bravement, mais sans regarder l’enfant : elle pensait lui laisser toute une ration de tendresse.

Lui, dans la cuisine, muet, renfermé mais les yeux secs, contemplait la carte d’Europe d’un petit dictionnaire d’écolier que Philippe lui avait donné, et, s’il parlait, ce n’était que pour poser des questions sur les distances.

Philippe eut des moments d’attendrissement, et même, lorsque Boulanger vint demander à l’enfant d’aller faire quelques courses, Philippe fut presque indigné : il le voyait partir, frêle et