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LA FOLLE EXPÉRIENCE

à eux, pendant que Lucien et lui poursuivaient leurs burlesques dialogues de vanité : il voulait encore la savoir heureuse, fût-ce avec un autre, il préférerait la voir heureuse avec un autre, parce qu’il était sûr qu’un autre pouvait la rendre plus heureuse que lui.

Les phrases d’humilité, de résignation continuaient. Philippe y trouvait un vif plaisir, et plus il se rabaissait, plus il éloignait Claire de lui, plus il lui semblait qu’il la possédait.

Un jeune homme vint s’asseoir à sa table, qu’il ne reconnut pas d’abord et dont la présence lui fut odieuse, parce que Philippe cherchait à qui il ressemblait. Enfin il sut : c’était le visage de Charlie ou de Bobby, le petit ami dont son camarade Lucien Dubois lui avait montré la frimousse à col nu (ces années qu’on portait toujours faux-col), et dont le sourire avait enflammé ce Lucien aux mœurs particulières. Ce souvenir attisa encore le désir qu’avait Philippe de Claire et la présence de l’autre lui était d’autant plus désagréable. Le jeune homme laissa pourtant Philippe écrire un moment, puis il lui adressa la parole :

— Vous n’êtes pas le cousin de l’abbé Lanctôt ?

Philippe était le cousin de l’abbé Lanctôt. Depuis longtemps, il n’avait pensé à l’abbé Lanctôt : lui seul pouvait permettre à Philippe de passer trois mois avec Claire, sans qu’il eût à s’inquiéter.