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LA FOLLE EXPÉRIENCE

taper les gens, les secrétaires lui paraissaient toujours complices, comme s’ils eussent été associés pour gruger le patron, en riant. Parce qu’il était rasséréné, Philippe était prêt maintenant à des bassesses, à des reniements. L’odeur de ce cabinet de dentiste le grisait un peu : il y avait longtemps qu’il avait mis les pieds dans ces sortes de bureaux, et la nouveauté faisait comme mousser des idées qui ne se formulaient pas.

M. Pageau est seul, je vais vous faire entrer tout de suite.

Pour prendre une contenance, Philippe s’assit un moment, feuillette un magazine, regarde les fleurs dans une jardinière sur la table : « Tiens, il n’avait pas ça, avant ! » Puis, il va à une gravure, une tête de femme : elle a les yeux de Claire. Alors, il se rappelle le sourire extatique de Claire, lorsqu’elle voulait. Il songe d’abord à une comédie de Claire, et un sourire lui vient aux lèvres, puis un afflux de sang au visage : « Tiens, je ne suis pas guéri de ça. »

Philippe n’était pas guéri de ça, et il perçut pourtant qu’il était prêt à tout, et à recommencer sa vieille vie, lorsque le sourire d’accueil, la main tendue, cet air rajeuni ( « enfin, je vais oublier les patients, je vais causer de littérature » ), lorsque toute la petite personne de Pageau s’avança vers lui. Pageau lui enlevait ses craintes, le poussait même à crâner, et c’est avec un peu d’effronterie que Philippe, lui