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LA FOLLE EXPÉRIENCE

fatuité, Philippe cita les vers de Racine et la prose somptueuse qu’il venait de découvrir dans « Le Génie du Christianisme. » Dufort écoutait modestement, ayant en lui du paysan qui veut s’instruire. Philippe citait encore Antoine Albalat et Faguet, ses maîtres d’alors. Il était dogmatique et péremptoire en diable. Il en oubliait la condition élémentaire (se disait-il) du gros Dufort. La vanité de Philippe avait désormais établi ses quartiers chez Dufort. Sa timidité, devenue folle et prodigue et qui prenait le large, avait trouvé un écouteur plus docile que les autres. Avec lui, point de contradictions à craindre : ce gros garçon propre et ces gros yeux stupides faisaient leur bien de tout ce que disait Philippe. Dufort engrangeait les paroles de Philippe avec avarice, et Philippe devinait qu’il les ruminerait longtemps, qu’il les repasserait comme une leçon. L’orgueil de Philippe n’avait jamais rêvé pareille victoire.

Si bien que Philippe entreprit la conversion de Dufort. Quelques mois plus tôt, il avait quitté la foi catholique, pour le plaisir de scandaliser une vieille cousine, à qui il débitait les objections qu’il pêchait dans quelque apologétique niaise. Pris au jeu, se lançant tête basse, Philippe avait fini par croire ce que la malice de la contradiction et le goût du scandale lui dictaient. Il s’y était lancé, comme on plonge dans la luxure, un jour que, étourdi par toutes