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— C’est à toi, je m’en mêle pas. Si tu veux être le père d’un bandit, c’est ton affaire.

Monsieur Lapointe ne fut pas le père d’un bandit, cette fois, et il tenait son rôle fort au sérieux. Je le rencontrai un jour, qui filait comme s’il eut eu le diable à ses trousses, et l’ordinaire de monsieur Lapointe était la lenteur. C’est à peine s’il répondit lorsque je l’abordai, lui qui tenait tellement aux manières. Brusquement cependant, il me dit :

— Si vous voulez venir avec moi, il faut vous presser, la maladie, ça n’attend pas.

Il allait à la pharmacie et je compris à travers ses circonlocutions que c’était trop fort pour lui, qu’il ne pouvait entendre pleurer son enfant, « qui se lamentait » et qu’il lui donnait des gouttes de parégorique, à tort et à travers. Le petit mourut peu de temps après, du croup. Je vis monsieur Lapointe durant son deuil. Dans sa peine, on sentait un vague espoir, une sorte de sourire, le sourire qu’on voit aux veufs quelques semaines après les funérailles. Vous entendez qu’un projet se faisait jour chez lui et qu’ayant reçu un enfant de l’hospice, il pouvait en recevoir un autre.