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Lapointe était un homme prudent et qui raffinait sur la prudence.

Il va de soi qu’il possédait de petites rentes, ce qui ne l’empêcha, sur la trentaine, de chercher un petit emploi qu’il trouva : il corrigeait les épreuves dans un grand quotidien. Il avait même une spécialité, qui était de corriger les annonces. Son inquiétude, sa minutie le servaient auprès des patrons : on pouvait être certain qu’aucune virgule libelleuse — pour user de leur jargon — ne se glisserait dans les réclames, pain quotidien du journal.

Je l’avais perdu de vue, lorsque je fis mon premier stage de reporter. Au pays laurentien, il ne se rencontre d’auteur qui n’ait passé par les salles de rédaction. Comme, en France, on faisait son service militaire, avec cette différence qu’en Laurentie, on reste soldat jusqu’à la fin de ses jours. La retraite serait un confortable rond de cuir, et, pour les bohèmes et les mal doués comme votre serviteur, de conter toujours les mêmes souvenirs…

Ses souvenirs, monsieur Lapointe, pourvu qu’il n’eût point d’épreuves à corriger, ne cessait de les dérouler. Rencontrait-il un inconnu qui disait ce soir au lieu de ce souère,