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d’amis), mon ami Langlais, qui aimait et recherchait la publicité, en eut pour son argent. Et de l’argent, mon ami Langlais en avait, et Dieu que ça paraissait !

Nous venons de points cardinaux opposés et pourtant je connus Jules Langlais très tôt, dans ma petite enfance. Je crois que Jules Langlais est mon premier souvenir, le premier souvenir notable. Je me revois sur un banc, dans un jardin d’enfance populaire, et qu’on appelait l’Asile, à cause des orphelins et des vieux qui peuplaient les étages supérieurs. Il n’y avait là que des gamins sales, des enfants grossiers, qui faisaient peur et horreur à ma timidité. A midi, s’asseoir devant une table improvisée qu’on installait dans l’unique classe était pour moi un sujet de dégoût, renouvelé six fois par semaine. C’était péché pour moi de manger avec son couteau, et de le porter à la bouche. Ces mal élevés allaient jusqu’à le sucer. Mes fesses se trémoussaient d’impatience, et je grinçais des dents, au bruit de ces bouches qui mastiquaient, trituraient et mâchaient avec une indécence qui me répugnait.

Jules Langlais, déjà snob, avait obtenu licence de manger à part. Tout au bout de la