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LES CORRECTEURS A PARIS
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son devaient sortir les travaux les plus remarquables et les plus savants de cette époque : bibles en grec, en latin, en hébreu, psautiers, auteurs anciens, Thesaurus, Dictionnaire français-latin, etc. — Ses éditions « sont celles de toute l’Europe, où l’on voit le moins de fautes d’impression. Mill assure que, dans son Nouveau Testament grec des éditions de 1546, 1549 et 1551, ainsi que dans l’édition in-16 de 1549, il ne se trouve pas une seule faute typographique, et qu’il n’y en a qu’une dans la préface latine, savoir pulres pour plures. On sait par quel moyen il parvint à cette exactitude » : il revisait lui-même les textes et corrigeait ses épreuves avec l’aide de collaborateurs non moins lettrés ; puis « il exposait à sa boutique et affichait à la porte des collèges ses dernières épreuves en promettant un sol aux écoliers pour chaque faute qu’ils découvriraient, et il leur tenait exactement parole[1]. Il entretenait chez lui dix à douze savants de nations diverses, et, comme ils ne pouvaient s’entendre les uns les autres qu’en parlant latin, cette langue devint si familière dans la maison que sa femme, ses enfants et les anciens domestiques vinrent à la parler avec facilité ». — On connaît le sort misérable que de regrettables querelles religieuses et un formalisme intransigeant devaient réserver à cet homme honoré de la faveur d’un roi[2] et d’une reine, mais suspect au clergé : ses démêlés avec la Sorbonne, sa fuite à Genève et, sous la direction de son frère, la ruine de sa maison.

Comparant les éditions de Robert Estienne et d’Alde Manuce au point de vue de la correction du texte, M. Firmin-Didot, dans ses Observations littéraires et typographiques sur Robert et Henri Estienne, exprime une idée singulière : « … Ce n’est certainement pas sous le rapport de la correction des textes qu’Alde doit être comparé à Robert Estienne et à son fils[3]. Il faut le dire, avant Robert Estienne on n’avait

  1. Dans son volume la Science pratique de l’Imprimerie, paru à Saint-Omer, en 1723, Dominique Fortel assure, d’après un auteur ancien, que Plantin (d’Anvers) agissait, à cet égard, comme Robert Estienne.
  2. « Ce fut une heureuse pensée que celle du premier roi de France qui choisit, entre les imprimeurs parisiens, le plus capable d’exécuter sous son patronage des éditions assez parfaites pour servir de modèles. Il n’y avait pas encore d’Imprimerie Royale proprement dite ; mais il y eut toujours, depuis Robert Estienne jusqu’à Sébastien Cramoisy (1640), des imprimeurs royaux. » (Egger, Histoire du Livre, p. 237.)
  3. Firmin-Didot combat ici une opinion de M. Renouard : « À tous égards, Alde Manuce occupe et occupera longtemps et sans aucune exception le premier rang parmi les imprimeurs anciens et modernes. »