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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

Alcuin (735-804), l’illustre éducateur des temps carolingiens, ne dédaigne point d’enseigner lui-même l’art de la calligraphie ; fondateur du remarquable scriptorium de Saint-Martin de Tours, il trace ainsi les principaux devoirs des copistes : « Ils veilleront à ne pas mêler au texte leurs pensées profanes. Leur main ne s’abandonnera pas aux distractions d’une écriture trop rapide. Ils auront des livres corrigés avec soin, et leur plume exercée suivra régulièrement le tracé des lignes[1]… » Aux conseils Alcuin avait soin de joindre l’exemple : retiré en l’abbaye de Saint-Martin, où il mourut aux premières années du ixe siècle, il employa les derniers temps de sa vie, dit une pieuse tradition, à écrire de sa main une copie correcte des Écritures, qu’il offrit à Charlemagne à l’instar d’un présent inestimable, et qui fut, depuis, d’un grand secours aux éditeurs de la Bible[2].

Les moines que n’inquiète point la brièveté de la vie produisent lentement des œuvres de longue haleine : traités d’astronomie, de chimie, de mathématiques, de médecine, livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, missels, eucologes, antiphonaires… Mais il ne faut point croire que l’activité des copistes conventuels se limite strictement aux manuels liturgiques, aux traités patristiques et aux œuvres de connaissances générales. Les ouvrages des Anciens occupent une place honorable parmi les productions calligraphiques du scriptorium, et les exemplaires les plus précieux de classiques que possèdent nos bibliothèques publiques sortent de la main des religieux. Ces travaux sont remarquables non seulement au point de vue matériel, mais aussi littéraire : la calligraphie est souvent d’une perfection merveilleuse ; et, pour un grand nombre, la correction du texte ne souffre que des négligences et des inexactitudes inévitables même de la part des copistes les plus consciencieux et les plus instruits.

Nombre de monastères, d’ailleurs, ne négligèrent rien pour assurer cette pureté de correction et la maintenir à la hauteur à laquelle ils étaient parvenus à la porter. Les événements devaient sur ce point seconder la tâche des moines, en leur permettant de conserver de longs siècles la haute main sur la production des livres : durant presque tout le cours du moyen âge cette production fut en effet spécialisée aux mains

  1. Alcuini op., éd. Migne, carm. VI, t. II, p. 745.
  2. D’après le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de P. Larousse, t. I.