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bliant tous mes soucis ; il me semblait que j’avais des ailes aux pieds et que j’aurais pu parcourir quarante milles sans fatigue ; j’éprouvais un sentiment de joie auquel, depuis les jours de ma première jeunesse, j’avais été complètement étrangère. Vers six heures et demie pourtant, les grooms commencèrent à descendre pour faire prendre l’air aux chevaux de leurs maîtres.

Il en vint d’abord un, puis un autre, jusqu’à ce qu’il y eut une douzaine de chevaux et cinq ou six cavaliers ; mais cela ne me troublait pas, car ils ne devaient pas venir aussi loin que les rochers dont j’approchais. Quand je fus arrivée à ces rochers sous-marins, et que je m’avançai sur la mousse et les herbes marines glissantes (au risque de tomber dans une des flaques d’eau claire et salée qui les séparaient) vers un petit promontoire que battait la vague, je me retournai pour regarder derrière moi. Je vis toujours les grooms et leurs chevaux, puis un gentleman seul avec un petit chien semblable à un point noir courant devant lui, et un chariot descendant de la ville et venant chercher de l’eau pour les bains. Dans une minute ou deux les voitures de bains allaient se mouvoir, et les vieux gentlemen d’habitudes régulières, les ladies méthodiques et graves allaient commencer leur salutaire promenade du matin. Mais, quelque intéressant que fût pour moi ce spectacle, je ne pouvais attendre pour le voir, car le soleil et la mer éblouissaient tellement mes yeux quand je regardais de ce côté, que je fus obligée de les détourner aussitôt. Je me laissai donc de nouveau aller au plaisir de voir et d’entendre la mer battre mon petit promontoire, sans grande force toutefois, car la vague était amortie par les herbes marines épaisses et les rochers à fleur d’eau ; autrement, j’aurais été promptement inondée d’écume. Mais la marée montait, l’eau s’élevait, les lacs et les gouffres se remplissaient, les détroits s’élargissaient ; il était temps de chercher un lieu plus sûr. Aussi, je marchai, sautai, enjambai et revins enfin sur la plage vaste et unie ; je résolus alors de pousser ma promenade jusqu’à certains rochers, et à me retourner ensuite.

Au même moment, j’entendis un bruit derrière moi, et un chien vint bondir et frétiller à mes pieds. C’était mon propre Snap, le petit terrier noir au poil rude ! Quand je prononçai son nom, il me sauta au visage et hurla de joie. Presque aussi joyeuse que lui, je le pris dans mes bras et l’embrassai plusieurs fois. Mais comment se trouvait-il là ? Il ne pouvait être