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fait une fois ou deux, c’est une offense impardonnable contre son cher Thomas. Jamais elle ne se rendit coupable d’un tel manque de respect envers son époux, dit-elle ; et pour ce qui est de l’affection, les femmes de nos jours ne pensent point à cela ; mais de son temps, les choses étaient différentes. Comme s’il était bien utile de rester dans la chambre quand il ne fait que murmurer et jurer lorsqu’il est en colère, dire des plaisanteries dégoûtantes lorsqu’il est de bonne humeur, ou se coucher sur un sofa lorsqu’il est trop stupide pour faire l’un ou l’autre ! ce qui est fréquemment le cas, maintenant qu’il n’a pas autre chose à faire que de s’enivrer.

— Mais ne pouvez-vous chercher à occuper son esprit de choses meilleures, et l’engager à renoncer à de telles habitudes ? Je suis sûre que vous avez des moyens de persuasion et des talents pour amuser un gentleman que beaucoup de ladies seraient heureuses de posséder.

— Et vous pensez que je voudrais me consacrer à son amusement ? Non, ce n’est point là l’idée que j’ai des devoirs d’une femme. C’est au mari à plaire à la femme, et non à la femme à plaire au mari ; et s’il n’est pas satisfait de la sienne telle qu’elle est, s’il ne se croit pas très-heureux de la posséder, il n’est pas digne d’elle : voilà tout. Pour ce qui est de la persuasion, je vous assure que je ne me tourmenterai pas de cela ; j’ai bien assez à faire de le supporter comme il est, sans que j’essaye encore d’opérer une réforme. Mais je suis fâchée de vous avoir laissée seule si longtemps, miss Grey. Comment avez-vous passé le temps ?

— Principalement à regarder les corbeaux.

— Grand Dieu ! combien vous avez dû vous ennuyer ! Il faut que je vous montre la bibliothèque ; et vous devez, à l’avenir, sonner toutes les fois que vous aurez besoin de quelque chose, absolument comme si vous étiez dans une auberge, et ne vous laissez manquer de rien. J’ai des raisons égoïstes pour vouloir vous faire heureuse, parce que j’ai besoin que vous demeuriez avec moi, et que vous n’accomplissiez pas votre horrible menace de partir dans un jour ou deux.

— Eh bien, permettez que je ne vous retienne pas plus longtemps éloignée du salon ce soir ; car à présent je me sens fatiguée et désire me mettre au lit. »