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lant, excepté qu’il partit il y a à peu près un mois. Je n’ai jamais demandé pour où ; et les gens firent grand bruit de son départ, continua-t-elle, au grand déplaisir de M. Hatfield : car Hatfield ne l’aimait pas, parce qu’il avait trop d’influence sur les gens du bas peuple, et parce qu’il n’était pas assez maniable ni assez soumis envers lui, et aussi pour d’autres impardonnables défauts, je ne sais quoi. Mais maintenant il faut positivement que j’aille m’habiller ; le second coup de cloche va sonner, et si j’arrivais au dîner dans cette toilette, lady Ashby ne finirait pas ses rabâchages. C’est une chose étrange que de ne pouvoir être maîtresse dans sa propre maison. Sonnez, et je vais envoyer chercher ma femme de chambre, et leur dire de vous apporter du thé. Que je vous dise encore que cette intolérable femme…

— Qui ? votre femme de chambre ?

— Non, ma belle-mère… et ma malheureuse bévue ! Au lieu de la laisser se retirer dans quelque autre maison, comme elle offrit de le faire lorsque je me mariai, je fus assez sotte pour la prier de rester ici et de diriger la maison à ma place, parce que d’abord j’espérais que nous passerions une grande partie de l’année à Londres ; en second lieu, j’étais si jeune et si inexpérimentée que je frémissais à l’idée d’avoir des domestiques à gouverner, des dîners à commander, des parties à organiser, et tout le reste ; et je pensai qu’elle pourrait m’assister de son expérience. Je ne songeai jamais qu’elle se montrerait une usurpatrice, un tyran, une sorcière, une espionne, et tout ce qu’il y a de plus détestable. Je la voudrais voir morte ! »

Elle se tourna alors pour donner des ordres au laquais qui, resté debout sur la porte pendant une demi-minute, avait entendu la dernière partie de ses malédictions, et qui naturellement faisait ses réflexions là-dessus, malgré l’impassible et immobile contenance qu’il croyait convenable de garder dans le salon. Quand je lui fis remarquer que cet homme avait dû l’entendre, elle me répondit :

« Oh ! que m’importe ? Je ne m’occupe pas des laquais : ce sont de vrais automates ; ils ne font nulle attention à ce que disent et font leurs maîtres ; ils n’oseraient le répéter. Quant à ce qu’ils peuvent penser, s’ils se permettent de penser quelque chose, personne ne s’en préoccupe. Ce serait vraiment joli, si nous devions nous interdire de parler devant nos domestiques ! »