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vos côtés, et il était obligé de se tenir tout près de vous et de vous parler très-bas, à moins d’être entendu de tout le monde, ce que, quoiqu’il ne dît rien de bien particulier, il ne voulait certainement pas. — Mais alors, pourquoi cette cordiale et douce pression de main, qui semblait dire : Fiez-vous à moi, et mille autres choses encore, trop flatteuses pour qu’on les répète, même à soi ? — Folie insigne, trop absurde pour mériter contradiction ; pure invention de votre imagination, et dont vous devriez rougir ! Si vous vouliez seulement regarder votre extérieur peu attrayant, votre réserve peu aimable, votre timidité absurde, qui doivent vous faire paraître froide, triste, originale et peut-être d’un mauvais caractère ; si vous aviez réfléchi à tout cela depuis le commencement, vous n’auriez jamais donné accès à des pensées si présomptueuses. Puisque vous avez été si insensée, il vous faut vous repentir et vous amender, et ne plus penser à cela. »

Je ne puis dire que j’obéissais à mes propres injonctions ; mais des raisonnements pareils devenaient de plus en plus efficaces à mesure que le temps s’écoulait et que je n’entendais point parler de M. Weston, et à la fin je cessai d’espérer, car mon cœur lui-même reconnut que c’était chose vaine. Cependant je continuais à penser à lui ; je chérissais son image dans mon esprit ; je me souvenais de ses paroles, de ses gestes, de ses regards ; je m’entretenais de ses qualités et de ses habitudes, en un mot de tout ce que j’avais vu, entendu ou imaginé de lui.

« Agnès, l’air de la mer et le changement de scène ne vous sont pas favorables, je pense ; jamais je ne vous ai vu si mauvaise mine. Vous restez sans doute trop assise et les soins de l’école vous absorbent trop. Il vous faut prendre les choses plus légèrement et vous montrer gaie et active. Il vous faut prendre de l’exercice toutes les fois que vous le pourrez, et me laisser les plus durs labeurs : ils ne serviront qu’à exercer ma patience et peut-être à éprouver un peu mon caractère. »

Ainsi parla un matin ma mère, pendant que nous étions toutes deux au travail durant les vacances de Pâques. Je l’assurai que mes occupations ne me faisaient aucun mal, que je me portais bien, et que si j’étais un peu pâle, c’était l’effet de l’hiver ; qu’il n’y paraîtrait plus aussitôt que les mois de printemps seraient passés ; que lorsque l’été serait venu, je serais aussi forte et aussi gaie qu’elle pourrait le désirer : mais