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leur du foyer. Son regard, venant à se baisser, tomba sur un visage souriant, heureux, encadré de boucles soyeuses et éclairé par des yeux charmants. Sarah avait porté le thé au parloir, où la retenait une mercuriale de sa maîtresse. Moore posa un moment sa main sur l’épaule de sa cousine, se pencha et déposa un baiser sur son front.

« Oh ! dit-elle, comme si ce baiser lui eût descellé les lèvres, j’étais malheureuse lorsque je pensais que vous ne viendriez pas ; maintenant je suis trop heureuse. Êtes-vous heureux, Robert ?

— Je crois que je le suis, ce soir, du moins.

— Êtes-vous bien sûr de n’être pas tourmenté par vos métiers, vos affaires, la guerre ?

— Pas maintenant.

— Ne trouvez-vous pas le cottage de Hollow trop petit pour vous, mesquin, triste ?

— En ce moment, non.

— Pourriez-vous affirmer que vous n’avez pas le cœur aigri parce que les riches et les grands vous oublient ?

— Trêve de questions. Vous vous trompez si vous pensez que je recherche avec anxiété la faveur des riches et des grands. Je désire seulement des moyens d’existence, une position, une carrière.

— Que votre propre talent et votre bonté ne peuvent manquer de vous gagner. Vous êtes né pour être grand, vous serez grand !

— Si vous parlez du fond de votre cœur, j’aimerais à savoir quelle recette vous me conseilleriez d’employer pour acquérir cette grandeur. Mais je la connais, mieux que vous ne la connaissez vous-même. Serait-elle efficace ? réussirait-elle ? Oui ! pauvreté, misère, banqueroute. Oh ! la vie n’est pas ce que vous pensez, Lina.

— Mais vous êtes ce que je pense, vous ?

— Non.

— Vous êtes meilleur, alors ?

— Bien pire.

— Non, bien meilleur. Je sais que vous êtes bon.

— Comment le savez-vous ?

— Vous le paraissez, et je sens que vous l’êtes.

— Où le sentez-vous ?

— Dans mon cœur.

— Ah ! vous me jugez avec votre cœur, Lina ; vous devriez me juger avec votre tête.