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vous n’y pouvez rien et que ce n’est pas dans votre nature ; mais je m’étonne que vous ne puissiez gagner la confiance de cette fille, et lui rendre votre société au moins aussi agréable que celle de Robert ou de Joseph.

— Ils peuvent causer mieux que moi des choses auxquelles elle s’intéresse le plus, répondais-je.

— Ah ! voilà une étrange confession, venant de sa gouvernante ! Qui donc doit former les goûts des jeunes ladies, sinon les gouvernantes ? J’ai connu des gouvernantes qui s’étaient si complètement identifiées avec la réputation de leurs jeunes ladies pour l’élégance des manières et les qualités de l’esprit, qu’elles auraient rougi de dire un mot contre elles, qu’entendre le moindre blâme imputé à leurs élèves leur eût semblé pire que d’être censurées dans leur propre personne ; et vraiment, pour ma part, je trouve cela très-naturel.

— Vous pensez, madame ?

— Oui, certainement ; les talents et l’élégance des jeunes ladies importent plus à la gouvernante que les siens propres. Si elle veut prospérer dans sa vocation, il faut qu’elle consacre toute son énergie, toutes ses capacités à son état ; toutes ses idées, toute son ambition, tendront à l’accomplissement de ce seul objet. Quand nous voulons décider du mérite d’une gouvernante, nous jetons naturellement les yeux sur les jeunes ladies qu’elle a élevées, et nous jugeons en conséquence. La gouvernante judicieuse sait cela ; elle sait que, pendant qu’elle vit elle-même dans l’obscurité, les vertus et les défauts de son élève seront visibles pour tous les yeux, et que, à moins de faire abnégation d’elle-même dans son enseignement, elle ne peut espérer le succès. Vous voyez, miss Grey, c’est absolument la même chose que tout autre commerce ou profession ; ceux qui veulent réussir doivent se vouer corps et âme à leur état ; et, dès qu’une gouvernante commence à se laisser aller à l’indolence, elle ne tarde pas à être distancée par de plus sages compétiteurs. Je ne sais laquelle vaut le mieux, de celle qui gâte les enfants par sa négligence, ou de celle qui les corrompt par son exemple. Vous m’excuserez de vous donner ces petits avis ; vous savez que tout cela est pour votre propre bien. Beaucoup de ladies vous parleraient plus ferme que je ne le fais ; beaucoup ne se donneraient pas la peine de vous parler, mais s’occuperaient tranquillement de vous chercher une remplaçante. Cela, vraiment, serait le plan le plus aisé ; mais je con-