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M. Sweeting est occupé à couper en morceaux une tranche de rosbif sur son assiette, et se plaint qu’il est très-dur ; M. Donne trouve la bière plate. Oui, voilà le pire ! S’ils étaient polis encore, mistress Gale n’y ferait pas attention ; s’ils se montraient satisfaits de ce qu’on leur donne, elle n’y regarderait pas de si près ; mais ces jeunes curés sont si hautains, si dédaigneux, ils mettent tout le monde sous leurs pieds ; ils ne la traitent pas même avec civilité, parce qu’elle n’a pas de domestique et qu’elle fait elle-même la besogne de la maison, comme sa mère faisait avant elle. Puis, ils parlent toujours contre le Yorkshire et ses habitants, et, pour mistress Gale, c’est une preuve qu’aucun d’eux n’est un véritable gentleman, un descendant d’une noble race. Les vieux curés valent mieux que cette bande de gamins de collége ; ils savent ce que sont les bonnes manières, et sont bienveillants envers les riches et les humbles.

« Du pain ! » crie M. Malone, dont le ton et l’accent indiquent suffisamment qu’il est né au pays du trèfle et des pommes de terre. Mistress Gale hait M. Malone plus qu’aucun des deux autres, mais elle le craint aussi, car c’est un personnage grand et vigoureusement constitué, avec de vraies jambes et de vrais bras irlandais, et un visage à l’avenant ; non le type du visage d’O’Connell, mais ce visage aux traits vigoureux de l’Indien du nord de l’Amérique, qui appartient à une certaine partie de la noblesse irlandaise, et dont le regard hautain et comme pétrifié convient mieux à un possesseur d’esclaves qu’à un propriétaire dans un pays libre. Le père de M. Malone s’appelait gentleman : il était pauvre, criblé de dettes et arrogant, et son fils lui ressemble.

Mistress Gale lui présente le pain.

« Coupez-le, femme, » dit le convive, et la femme le coupa. Si elle eût pu satisfaire ses inclinations, elle eût coupé le vicaire aussi. Elle était révoltée de sa manière de commander.

Les vicaires avaient bon appétit, et, quoique le bœuf fût dur, ils en mangèrent beaucoup. Ils absorbèrent aussi une assez grande quantité de bière plate, tandis qu’un plat de pouding du Yorkshire et deux plats de légumes disparaissaient comme des feuilles devant les sauterelles. Le fromage aussi reçut des marques distinguées de leur attention, et un gâteau aux épices qui suivit, en guise de dessert, s’évanouit comme