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ques mots ensemble. Voilà trois jours que je n’ai pu vous parler en particulier. De tels changemens sont cruels.

— Je n’ai aucune envie d’être cruelle, a-t-elle répondu avec assez de douceur (et vraiment il y avait de la douceur dans toute sa manière d’être, dans son visage, dans sa voix ; mais il y avait aussi de la réserve).

— Vous m’avez certainement causé de la peine, lui ai-je dit. Il y a à peine une semaine que vous m’avez appelé votre futur époux et traité comme tel : maintenant je suis plus que jamais pour vous le précepteur. Vous m’appelez M. Moore ; vos lèvres ne se souviennent plus du nom de Louis.

— Non ; Louis, c’est un nom limpide et aisé à prononcer ; je ne l’oublierai pas de sitôt.

— Soyez cordiale pour Louis, alors ; approchez-le, laissez-vous approcher.

— Je suis cordiale, a-t-elle dit en se redressant comme une blanche statue.

— Votre voix est très-douce, et très-basse, ai-je répondu en avançant doucement ; vous semblez subjuguée, mais cependant effrayée.

— Non, je suis tout à fait calme et ne m’effraye de rien, m’a-t-elle répondu.

— De rien, excepté de votre adorateur. »

Je courbai un genou devant elle.

« Vous voyez que je suis dans un monde nouveau, monsieur Moore : je ne me connais pas moi-même : je ne vous connais pas ; mais relevez-vous ; quand vous agissez ainsi, je me sens troublée et émue. »

J’ai obéi. Cela ne m’eût guère convenu de rester longtemps dans cette attitude. Je ne lui ai pas demandé vainement le calme et la confiance : elle s’est attachée à moi de nouveau.

« Maintenant, Shirley, lui ai-je dit, vous devez concevoir combien je suis loin d’être heureux dans mon état incertain et non fixé.

— Oh ! oui, vous êtes heureux ! s’écria-t-elle avec rapidité. Vous ne savez pas combien vous êtes heureux ! tout changement serait à votre préjudice.

— Heureux ou non, je ne puis supporter d’attendre plus longtemps ; vous êtes trop généreuse pour exiger cela.

— Soyez raisonnable, Louis, soyez patient. J’admire votre patience.