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a besoin d’argent, et cette pièce de six pence est tout ce que je possède. »

Elle prit la pièce de monnaie dans la poche de son tablier, et la montra dans le creux de la main. J’eusse pu plaisanter avec elle ; mais ce n’en était pas le moment : la vie et la mort étaient en jeu. M’emparant à la fois de la pièce de six pence et de la main qui la tenait, je lui demandai :

« Suis-je destiné à mourir sans vous, ou à vivre avec vous ?

— Faites comme il vous plaira ; loin de moi de vous dicter votre choix.

— Vous me direz de vos propres lèvres si vous me condamnez à l’exil, ou si vous m’appelez à l’espérance.

— Allez, votre départ ne me fera pas mourir.

— Peut-être moi aussi je pourrais survivre à votre absence : mais répondez, Shirley, mon élève, ma souveraine, répondez.

— Mourez sans moi si vous voulez ; vivez pour moi si vous l’osez.

— Je n’ai pas peur de vous, ma léoparde : j’ose vivre pour vous et avec vous, depuis ce moment jusqu’à ma mort. Maintenant donc, je vous possède ; vous êtes à moi ; je ne vous laisserai jamais partir. En quelque lieu que soit ma maison, j’ai choisi ma compagne. Si je reste en Angleterre, en Angleterre vous resterez ; si je traverse l’Atlantique, vous le traverserez avec moi ; nos vies sont rivées l’une à l’autre ; nos destins sont enchaînés.

— Et sommes-nous donc égaux, monsieur ? sommes-nous enfin égaux ?

— Vous êtes plus jeune, plus frêle, plus faible, plus ignorante que moi.

— Serez-vous bon pour moi ? ne me tyranniserez-vous jamais ?

— Laissez-moi respirer, ne m’accablez pas. Vous ne devez pas sourire, à présent. Le monde tourne et change autour de moi. Le soleil est une flamme écarlate qui m’étourdit ; le firmament un tourbillon violet qui roule au-dessus de ma tête. » Je suis un homme fort, mais je tremblais en parlant. Toute la création me paraissait exagérée : la couleur devenait plus vive, la motion plus rapide, la vie elle-même plus vitale.

Pendant un moment, je la vis à peine ; mais j’entendis sa