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Vous allez croire, lecteur, que j’ai esquissé une personne d’une remarquable négligence ; nullement. Hortense Moore (elle était la sœur de Moore) était une personne remplie d’ordre et d’économie : la jupe, la camisole et les papillotes étaient son costume du matin, dans lequel elle avait été habituée à vaquer aux soins domestiques dans son propre pays. Obligée de vivre en Angleterre, elle n’en avait pas voulu perdre les habitudes ; elle tenait à ses vieilles modes belges, et était bien persuadée qu’il y avait pour elle quelque mérite à agir ainsi.

Mlle Moore avait une excellente opinion d’elle-même, opinion qui n’était pas entièrement imméritée, car elle possédait quelques bonnes et précieuses qualités ; mais elle estimait trop haut le degré et le genre de ces qualités, et laissait hors de compte une multitude de petits défauts qui les accompagnaient. Vous ne lui eussiez jamais persuadé qu’elle avait des préjugés et l’esprit étroit, qu’elle était trop susceptible à l’endroit de sa dignité et de son importance, et trop prompte à s’offenser à propos de bagatelles ; et cependant tout cela était vrai. Toutefois, elle pouvait se montrer suffisamment bonne et aimable dans toutes les circonstances où ses prétentions à la distinction et ses préjugés n’étaient point en jeu. Elle était fort attachée à ses deux frères (car, outre Robert, il y avait un autre Gérard Moore). Comme seuls représentants survivants de la famille, ces deux frères étaient presque sacrés à ses yeux. Elle connaissait cependant moins Louis que Robert. Louis avait été envoyé en Angleterre lorsqu’il n’était encore qu’un enfant, et avait reçu son éducation dans une école anglaise. Soit que son éducation ne le rendît pas propre au négoce, soit que son inclination ne le poussât pas de ce côté, lorsque la ruine de ses espérances était venue le forcer à faire son chemin dans le monde, il avait choisi la carrière ardue et modeste de professeur. On le disait en ce moment précepteur dans une famille. Toutes les fois qu’elle parlait de Louis, Hortense avait coutume de dire qu’il avait des moyens, mais qu’il était trop timide et trop paisible. Son opinion sur Robert était d’un tout autre genre : elle était fière de lui ; elle le regardait comme le plus grand homme de l’Europe ; tout ce qu’il disait et faisait était remarquable à ses yeux, et elle voulait qu’il fût remarquable pour tout le monde ; rien ne pouvait être plus irrationnel, plus monstrueux, plus infâme qu’une opposition à Robert, excepté cependant une opposition à elle-même.