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elle menace de se transformer en furie. Je serais bientôt fatigué, je le crains, de la muette et monotone innocence de l’agneau ; avant peu, la jeune colombe qui ne serait jamais agitée dans mon sein me deviendrait importune ; mais ma patience se plairait à calmer les mouvements, à discipliner l’énergie de l’impatient émerillon, et ma force à dompter les instincts de l’indomptable bête fauve.

« Oh ! mon élève ! oh ! Peri ! trop turbulente pour le ciel, trop innocente pour l’enfer ! Ne pourrai-je donc jamais que te voir, t’adorer, te désirer ? Hélas ! sachant que je pourrais te rendre heureuse, serai-je condamné à te voir en la possession de ceux qui n’ont pas ce pouvoir ?

« Quelque douce que soit la main, si elle est faible, elle ne peut plier Shirley, et elle doit être pliée ; elle ne la peut courber, et il faut qu’elle soit courbée.

« Prenez garde, sir Philippe Nunnely ! Lorsque vous marchez ou que vous êtes assis à son côté, je ne l’observe jamais, les lèvres comprimées et le front ridé, endurant résolument quelque trait de votre caractère qu’elle n’aime ni n’admire, supportant avec détermination quelque faiblesse qu’elle croit compensée par une vertu, mais qui la chagrine en dépit de cette croyance ; je ne remarque jamais le grave éclat de son visage, le sévère éclair de son œil, le léger frisson de tout son corps lorsque vous vous approchez trop près d’elle, la regardez avec trop d’expression ou lui parlez trop chaleureusement ; je ne vois jamais ces choses sans penser à la fable de Sémélé renversée.

« Ce n’est pas la fille de Cadmus que je vois ; je ne m’imagine point son fatal désir de voir Jupiter dans sa majesté divine. C’est un prêtre de Junon qui est là devant moi, veillant tard et seul auprès d’un autel dans un temple argien. Pendant les longues années de son ministère solitaire, il a vécu dans les rêves ; il est possédé d’une divine fureur ; il aime l’idole qu’il sert, et prie jour et nuit que sa passion ait un aliment, et que la déesse aux yeux de bœuf veuille sourire à son adorateur. Elle a entendu ; elle se montrera propice. Argos est toute plongée dans le sommeil. Les portes du temple sont fermées ; le prêtre attend à l’autel.

« Une secousse du ciel et de la terre se fait sentir non à la ville endormie, mais seulement à ce solitaire surveillant, brave et inébranlable sous son fanatisme. Au milieu du silence, sans bruit précurseur, il est tout à coup enveloppé d’une lumière