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Est-ce que la vision que Moore a poursuivie occupe cette chaise ? On le penserait, en le voyant debout auprès de ce siége. Il y a dans son regard autant d’intérêt, sur son visage autant d’expression que si dans cette solitude il avait trouvé un être vivant auquel il serait sur le point d’adresser la parole.

Il fait des découvertes. Un sac, un petit sac de satin, est suspendu au dossier de la chaise. Le pupitre est ouvert, les clefs sont dans la serrure ; un joli cachet, une plume d’argent, une ou deux baies de fruit mûr sur une feuille verte, un gant petit, propre et délicat, sont épars sur un guéridon, dans un désordre qui peut passer pour pittoresque.

« Voilà ses traces, dit-il : l’insouciante enchanteresse ! Appelée ailleurs, elle est sortie à la hâte et a oublié de revenir mettre toutes choses en ordre. Pourquoi laisse-t-elle la fascination dans l’empreinte de ses pas ? D’où a-t-elle reçu le don d’être étourdie sans jamais offenser ? Il y a toujours quelque chose à réprimander en elle, mais la réprimande ne pèse jamais sur le cœur, et pour son mari, après qu’elle se sera répandue en paroles, elle viendra naturellement expirer sur ses lèvres en un baiser. Il vaut mieux passer une heure à lui faire des remontrances, qu’un jour à admirer ou à louer toute autre femme. Mais que dis-je ? à quel soliloque me laissé-je entraîner ?… »

Il se tut. Il demeura quelques instants pensif, puis il s’occupa de s’arranger commodément pour la soirée.

Il tira le rideau sur la large fenêtre du salon, dont il interdit ainsi l’entrée à la reine des nuits, à sa cour et à ses légions étoilées ; il alimenta le feu, chaud encore, mais qui se consumait rapidement ; il alluma une des deux chandelles qui étaient devant lui ; il plaça une seconde chaise en face de celle qui était près de la table, et s’assit. Il tira ensuite de sa poche un petit livre de papier blanc, puis une plume, et il se mit à écrire d’une écriture mal formée et compacte. Approchez, lecteur : ne soyez pas timide ; regardez sans crainte par-dessus son épaule, et lisez à mesure qu’il écrit.

« Il est neuf heures ; la voiture ne reviendra pas avant onze heures, j’en suis certain. Jusqu’alors je suis libre ; jusqu’alors, je peux occuper sa chambre, m’asseoir en face de sa chaise, appuyer mon coude sur sa table, avoir autour de moi ces charmants petits objets qui me la rappellent.

« J’aimais autrefois la solitude. Je me la représentais comme une belle nymphe calme et sérieuse, une Oréade descendant