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sage l’avait trouvée à son aiguille : elle apportait son ouvrage à la main. Ce jour-là elle n’était pas sortie à cheval : elle l’avait évidemment passé tranquillement. Elle portait son charmant costume d’intérieur et un tablier de soie. Ce n’était point une Thalestris, mais une femme d’un caractère paisible et même timide. M. Moore avait l’avantage sur elle : il eût pu lui parler d’un ton solennel et avec une attitude sévère ; peut-être l’aurait-il fait si elle se fût montrée insolente ; mais sa physionomie n’avait jamais fait voir moins de crânerie. Une sorte de douce timidité enfantine déprimait ses cils et se répandait sur son visage. Le précepteur debout le regardait en silence.

Elle s’arrêta entre la porte et le bureau.

« Avez-vous besoin de moi, monsieur ? demanda-t-elle.

— J’ai pris la liberté, miss Keeldar, de vous envoyer chercher, c’est-à-dire de vous demander une entrevue de quelques minutes. »

Elle attendit, en continuant son travail d’aiguille.

« Eh bien, monsieur (sans lever les yeux), de quoi s’agit-il ?

— Veuillez vous asseoir d’abord. Le sujet que je veux traiter demandera quelques instants. Peut-être n’ai-je guère le droit de l’aborder ; il est possible qu’aucune justification ne puisse m’excuser. La liberté que j’ai prise a son origine dans une conversation que j’ai eue avec Henry ; ce jeune garçon est affecté de l’état de votre santé ; tous vos amis éprouvent de l’inquiétude à ce sujet. C’est de votre santé que je désirerais vous parler.

— Je suis tout à fait bien, dit-elle brièvement.

— Et cependant changée.

— Cela ne peut intéresser personne que moi. Nous changeons tous.

— Voulez-vous vous asseoir ? Autrefois, miss Keeldar, j’avais quelque influence sur vous ; en ai-je encore maintenant ? puis-je croire que ce que je vous dis ne sera pas considéré comme positive présomption ?

— Laissez-moi lire du français, monsieur Moore ; je prendrai même une leçon de grammaire latine ; mais proclamons une trêve à toute discussion sanitaire.

— Non, non, le temps de ces discussions est venu.

— Discutez alors, mais ne me prenez pas pour texte ; je suis un sujet sain.

— Ne pensez-vous pas qu’il est mal d’affirmer et de réaffirmer ce qui substantiellement est faux ?