— Vous n’avez pas à peu près fini ?
— Je n’ai pas construit une ligne. »
M. Moore leva la tête : le ton de l’enfant était tout particulier.
« Votre tâche ne présente pas de difficultés, Henri ; mais si elle en contient, apportez-les-moi ; nous travaillerons ensemble.
— Monsieur Moore, je ne puis faire aucun travail.
— Mon garçon, vous êtes malade.
— Monsieur, je ne suis pas plus mal dans ma santé corporelle que d’habitude, mais mon cœur déborde.
— Fermez le livre. Venez ici, Harry. Venez au coin du feu. »
Harry s’avança en boitant ; son précepteur lui plaça une chaise : ses lèvres tremblaient, ses yeux étaient pleins de larmes. Il plaça sa béquille sur le plancher, inclina sa tête et pleura.
« Cette affliction n’est pas occasionnée par une douleur physique, dites-vous, Harry ? Vous avez un chagrin : dites-le-moi.
— Monsieur, j’ai un chagrin comme je n’en ai jamais eu auparavant. Je voudrais pouvoir en être soulagé de quelque façon : je peux à peine en porter le poids.
— Qui sait ? si vous me l’expliquez, je pourrai peut-être vous soulager. Quelle en est la cause ? Qui concerne-t-il ?
— La cause, monsieur, est Shirley ; il concerne Shirley.
— Est-ce vrai ? Vous pensez qu’elle est changée ?
— Tous ceux qui la connaissent pensent qu’elle est changée : vous aussi, monsieur Moore ?
— Non pas sérieusement, non. Je ne vois en elle aucune altération qu’une circonstance favorable ne puisse réparer en quelques jours ; d’ailleurs, sa propre parole doit être comptée pour quelque chose : elle dit qu’elle se porte bien.
— Aussi longtemps qu’elle a maintenu qu’elle allait bien, je l’ai cru, monsieur. Lorsque j’étais triste hors de sa vue, je recouvrais bientôt ma gaieté en sa présence. Maintenant…
— Eh bien ! Harry, maintenant ?… Vous a-t-elle dit quelque chose ? Vous avez été ensemble au jardin pendant trois heures ce matin : je l’ai vue vous parler, et vous écoutiez. Maintenant, mon cher Henri, si miss Keeldar a dit qu’elle est malade et vous a enjoint de garder le secret, ne lui obéissez pas. Dans l’intérêt de son existence, avouez tout. Parlez, mon garçon !
— Elle dit qu’elle est malade ! Je crois, monsieur, que, si elle était mourante, elle sourirait en disant : « Je ne souffre pas. »