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moments en des régions inconnues aux vivants. Caroline se souvenait évidemment avec lucidité de tout ce qui était survenu.

« Maman, j’ai bien dormi. Je n’ai rêvé et je ne me suis éveillée que deux fois. »

Mistress Pryor se releva rapidement, afin que sa fille ne vit point les larmes de joie dont ce mot maman et l’heureux présage qui le suivait avaient rempli ses yeux.

Pendant plusieurs jours encore l’heureuse mère ne se réjouit qu’en tremblant. Cette première résurrection ressemblait à la lueur d’une lampe qui s’éteint : si la flamme brillait un moment, l’instant suivant elle s’obscurcissait tout à coup. L’épuisement suivait de près l’excitation.

Caroline s’efforçait constamment, d’une manière touchante, de paraître mieux ; mais souvent ses forces refusaient de seconder sa volonté ; trop souvent ses efforts pour surmonter la maladie échouaient, et vainement elle essayait de manger, de parler, de paraître joyeuse, plusieurs heures se passaient, pendant lesquelles mistress Pryor craignait que les cordes de la vie ne se retendissent jamais, bien que le temps où elles se rompraient fût différé.

Pendant ce temps, la mère et la fille furent presque entièrement laissées seules. C’était vers la fin d’août : le temps était beau, c’est-à-dire qu’il était très-sec et que la poussière était abondante, car un vent aride avait soufflé de l’est pendant tout le mois ; le ciel était tout à fait sans nuages, bien qu’une pâle brume, stationnaire dans l’atmosphère, semblât dépouiller de toute profondeur de ton l’azur du ciel, de toute fraîcheur la verdure de la terre, et de tout éclat la lumière du jour. Presque toutes les familles de Briarfield étaient absentes pour quelque excursion. Miss Keeldar et ses amis étaient au bord de la mer ; il en était de même de toute la famille Yorke. M. Hall et Louis Moore, entre lesquels paraissait être née une intimité spontanée qui était probablement le résultat d’une harmonie de vues et de tempérament, étaient partis dans le Nord pour une excursion pédestre aux lacs. Hortense elle-même, qui fût volontiers restée à la maison pour aider mistress Pryor à soigner Caroline, avait été si vivement sollicitée par miss Mann de l’accompagner de nouveau aux eaux de Wormwood-Wells, dans l’espoir d’alléger des souffrances cruellement augmentées par l’insalubrité du temps, qu’elle